Carine Roitfeld : « Cette Crise Agit Comme Un Catalyseur De Créativité Pour La Mode »

Partager Sur

Carine Roitfeld : « Less is more ». La réponse m’a été soufflée par ma fille Julia qui a créé un site éponyme. Cette formule n’est pas une invitation à se laisser aller. Bien au contraire, c’est une façon de s’habiller plus intelligente. Il s’agit de prendre conscience que nous n’avons au fond pas besoin de tant qu’on pense. Le principe directeur est simple : créer de nouvelles silhouettes avec moins.

Cette idée de Less is more peut être étendue au calendrier des défilés devenu très chargé, du moins avant la crise. Aucun créateur, aussi talentueux soit-il, ne peut se renouveler tous les trois mois. Je sais pertinemment que l’industrie recherche en permanence les nouveautés mais il faudrait trouver un rythme plus piano. La mode fait rêver et doit continuer à exister en se réinventant mais peut-être un peu plus lentement.

Un conseil pour rester élégant·e? Pour une femme et pour un homme.

Carine Roitfeld : De nos jours, tout est genderless, y compris la mode. Je donnerais donc le même conseil aux hommes et aux femmes : prenez le temps pour trouver la bonne paire de sneakers. On les porte partout maintenant : avec des costumes, des robes ou encore des joggings donc ce choix est d’autant plus important. Je dois vous avouer n’avoir pas encore trouvé la paire parfaite.

Qui fait alors la mode selon vous : les consommateurs ou les designers/éditeurs?

Carine Roitfeld : Les deux. La mode de rue et des magazines s’influencent réciproquement. La mode de magazine brosse des portraits dit « total look », souvent déconnectés du réel,  à l’inverse, la mode de rue parle de notre quotidien et rappelle aux designers les envies et besoins de la clientèle. Je me souviens de la série « As You Like It » réalisée au début de l’année 2000 avec Mario Testino et Kate Moss. Elle mettait en face-à-face des total looks en studio et leur transposition plus wearable dans la rue. From Runway to Reality. J’espère malgré tout qu’un designer a la liberté de créer sans nécessairement penser à l’acte d’achat.

Comment la mode vit-elle cette crise actuelle?

Carine Roitfeld : Cette crise est extrêmement difficile. De nombreuses maisons de prêt-à-porter se trouvent actuellement dans une situation périlleuse. Survivront les maisons qui ont su s’adapter et se digitaliser. Cette crise impacte d’ailleurs en profondeur l’industrie de la mode : des mannequins qui se retrouvent incapables de voyager aux photographes qui doivent plus que jamais revoir leur façon de travailler, parfois à distance. Mais cette crise agit comme catalyseur de créativité pour la mode en poussant les artistes en dehors de leur zone de confort. Par exemple, pour le dernier numéro de CR Magazine, nous avons organisé un shooting à Tel-Aviv depuis Paris et New York. Avec des enveloppes plus restreintes, nous devons trouver de nouvelles idées.

En réponse à la crise, vous avez organisé un at-home fashion show. Pourriez-vous nous donner plus de détails?

Carine Roitfeld : Ce show est un bon exemple d’une réinvention de la mode face à la crise. Depuis plus de 10 ans, je travaille sur le défilé amfAR à Cannes. Cette année, AmfAR, la fondation américaine qui finance depuis 1985 la recherche contre le Sida, s’est engagée à contribuer aux efforts pour développer des traitements efficaces contre le Covid-19. C’est mon fils et business partner — Vladimir — qui a eu l’idée de ce défilé virtuel. Diffusé le 1er mai 2020 sur YouTube, les mannequins confinés ont défilé depuis leur domicile avec des pièces de leur garde-robe personnelle. Irina Shayk, Kim Kardashian, Natasha Poly, Alessandra Ambrosio pour ne citer qu’elles ont répondu à l’appel.

La Chine semble bien résister à la crise actuelle. Pourriez-vous nous parler de votre récente collaboration avec le milliardaire Adrian Cheng basé à Hong Kong?

Carine Roitfeld : J’ai rencontré Adrian Cheng à New York en 2019 lors de la réception du prix CFDA Founder Award. Adrian agit comme un mécène, alliant sa passion pour la mode à une connaissance très fine des dernières tendances. Nous avons collaboré ensemble pour le K11 Original Masters CHANEL Métiers D’Arts – La Maison Lemarié. La mode est maintenant beaucoup plus inspirante et créative à Shanghai qu’à Paris, Londres ou même New York car les jeunes chinois osent créer leurs propres looks. Nous avons aussi en commun une passion pour le cinéaste Wong Kar-wai, réalisateur de In the Mood for Love. Ma première ligne de parfums Carine Roitfeld baptisée 7 Lovers s’inspire des villes que j’affectionne et mon « lover » de Hong Kong s’appelle Kar-Wai.

Avec Adrian Cheng, vous avez aussi collaboré avec Christelle Kocher. Comment dénichez-vous de nouveaux talents?

Carine Roitfeld : Je n’ai pas de critères. Les talents viennent d’horizons tous différents. Avec le temps, j’ai néanmoins développé un œil très personnel. J’invite les jeunes générations à la patience, à apprendre de leurs aînés et d’autres marques. Pour certains, le succès peut être aussi rapide qu’éphémère. C’est un conseil que j’ai moi-même appliqué : le succès a été long à venir. J’ai tout d’abord commencé en tant que mannequin en faisant quelques photos. Mais je n’étais absolument pas un top model, n’ayant pas les critères à l’époque pour faire une grande carrière. Je fais plus de couvertures de magazines depuis que je suis grand-mère!

Christelle Kocher est une Française qui fait partie de la nouvelle génération prometteuse. Elle a été nommée directrice artistique de la maison Lemarié en 2010. Lemarié fait partie des Métiers d’Arts Chanel, elle est spécialisée dans la broderie et la plumasserie. Christelle continue en parallèle de faire ses propres collections et défilés pour sa marque Koché. Elle sait s’entourer de jeunes gens très différents et infuse chez Chanel sa jeunesse, son franc-parler et sa curiosité.

Carine Roitfeld et Christelle Kocher

Carine Roitfeld et Christelle Kocher – © CR Studio

 

Pour finir, qui ont été les personnes marquantes de votre carrière?

Carine Roitfeld : Je peux vous citer cinq personnes qui ont contribué significativement au succès de ma carrière : le photographe Mario Testino qui m’a appris à avoir confiance en mon talent ; le créateur Tom Ford qui m’a donné une visibilité internationale ; le directeur du conseil d’administration de Condé Nast, Jonathan Newhouse qui m’a promue rédactrice en chef de Vogue Paris ; le couturier et styliste Karl Lagerfeld qui était devenu mon protecteur ; et enfin mon fils Vladimir qui travaille avec moi depuis cinq ans.

Source: Forbes.fr

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *