Crépy-en-Valois : premières données sur l‘immunité collective au COVID-19 en milieu lycéen

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Les chercheurs de l’Institut Pasteur apportent des premiers éléments sur l’immunité de groupe : 25,9 % de la population étudiée, soit plus de 600 personnes reliées au lycée Jean-Monnet, possède des anticorps contre le virus. L’étude apporte de nombreux enseignements qui vont être utiles au déconfinement comme un taux de contamination intra-familial plus faible qu’attendu ou l’efficacité de la fermeture du lycée et du confinement. Par ailleurs, anosmie et agueusie semblent signer l’infection, et aussi contre-intuitif que cela puisse sembler, les fumeurs sont moins infectés par le virus.

Enquête auprès de 661 élèves, professeurs, personnels du lycée

Le 25 février dernier, un patient de l’Oise testé positivement au SARS-CoV-2décède dans un hôpital parisien dans lequel il avait été admis en urgence la veille. Il est le premier Français mort du Covid-19 et le premier cas recensé sans aucun lien avec la Chine.  Une enquête épidémiologique met à jour un foyer épidémique au sein du lycée Jean-Monnet de Crépy-en-Valois, là où le patient décédé était enseignant.

Entre le 30 mars et le 4 avril 2020, des chercheurs de l’Institut Pasteur avec le soutien de l’Agence régionale de la santé des Hauts-de-France et de l’Académie d’Amiens, avec l’appui de l’Etablissement Français du Sang ont mené une enquête d’ampleur à Crépy-en-Valois auprès de 661 élèves, professeurs, personnels du lycée Jean-Monnet ainsi qu’auprès de leurs proches.

Les volontaires ont répondu à un questionnaire sur des symptômes respiratoires qui seraient apparus. Puis à partir d’un prélèvement sanguin, un test sérologique développé par l’Institut Pasteur a détecté, ou non, des anticorps témoignant d’une infection par le nouveau coronavirus.

« Cette enquête très simple dans sa construction a été extrêmement riche d’enseignements » indique le Pr Arnaud Fontanet, directeur du département de Santé globale à l’Institut Pasteur, et professeur au CNAM, lors d’une e-conférence de presse.

Taux d’attaque de l’infection de 25,9 %

Sur les 661 personnes qui ont participé à l’étude, 117 ont développé des anticorps anti-SARS-CoV-2, ce qui signifie que le taux d’attaque de l’infection est de 25,9%. Le taux d’attaque de l’infection est défini par les auteurs comme la proportion de participants ayant une infection SARS- CoV-2 confirmée par la détection d’anticorps.

En faisant la distinction entre deux groupes – ceux qui fréquentaient le lycée et le deuxième cercle, c’est-à-dire les proches du premier groupe -, ce taux d’attaque de l’infection est différent.

Parmi le premier groupe, 38 % des lycéens de l’étude avaient des anticorps, versus 43 % des enseignants et 59 % du personnel qui travaillait dans l’établissement.

Contamination intrafamiliale plus faible qu’attendue

« Pour la famille, parents et frères et sœurs, les données sont intéressantes car reflètent mieux ce qu’il se passait dans la ville de Crépy-en-Valois à ce moment-là » explique Arnaud Fontanet.

Pour les parents, il y a une augmentation du risque d’être infecté au sein du domicile qui passe de 9% à 17% si le lycéen est infecté. Pour les frères et sœurs, cette augmentation passe de 3% à 21% si le lycéen est infecté. Les 9% de parents qui se sont infectés alors que le lycéen ne l’était pas donnent une estimation de la circulation du virus en population adulte à Crépy-en-Valois.

« Ces chiffres donnent une image ambivalente. D’un côté, il y a une augmentation du risque liée à une introduction du virus avec des conséquences très graves potentielles s’il y a quelqu’un de vulnérable dans la famille. », commente Arnaud Fontanet. « D’un autre côté, cela nous dit qu’à une période où l’on ne prenait pas de précaution particulière vis-à-vis du virus, l’introduction du virus dans un foyer ne se traduisait pas par une contamination systématique de l’ensemble de la famille ». « C’est intéressant, poursuit-il, de remettre en perspective ce que représentait en condition naturelle l’introduction d’une personne infectée dans une famille sans protection ».

Immunité collective inatteignable

Les taux de pénétration indiquent que la circulation du virus n’a pas été aussi importante qu’imaginée. Cela a un impact direct sur la notion « d’immunité collective » qui voudrait que la circulation virale s’arrête une fois que les deux-tiers de la population ont été en contact avec le virus.

« L’immunité collective est difficilement atteignable sans vaccin »

Marc Eloit

« Cela signifie que l’immunité collective est difficilement atteignable sans vaccin. En attendant un vaccin efficace, il faut des mesures barrières » estime Marc Eloit, responsable du laboratoire de découverte d’agents pathogènes à l’Institut Pasteur, invité par Medscape édition française à commenter la prévalence du virus de cette population a priori très exposée.

« A l’issue de la première vague de l’épidémie, dans les territoires touchés, peut-être que seul 10 % des gens ont rencontré le virus. Cela ne reflète absolument pas ce qu’on imaginait en voyant les services de réa complètement dépassés » commente Arnaud Fontanet, qui appelle à la plus grande vigilance lors du déconfinement.

« A l’issue de la première vague de l’épidémie, dans les territoires touchés, peut-être que seul 10 % des gens ont rencontré le virus »

Arnaud Fontanet

Vacances scolaires et confinement

Concernant la dynamique de la courbe épidémique, après une montée de la courbe jusqu’au 14 février, date des vacances scolaires, il y a une chute du nombre de cas.

Puis après une remontée de la courbe à la fin des vacances scolaires, le confinement, qui a débuté le 1er mars à Crépy-en-Valois, a de nouveau fait infléchir la courbe, ce qui témoigne d’une forte baisse de circulation du virus.

Il y a donc un impact significatif de la fermeture de l’établissement scolaire sur l’épidémie. Une observation déjà connue pour les épidémies de grippe qui connaissent un ralentissement lors des vacances scolaires.

Confirmation des observations cliniques

« Cette étude apporte des données chiffrées sur certaines spécificités observées par les cliniciens. »

Elle confirme par exemple que les fumeurs sont moins touchés (lire COVID-19 : l’énigmatique rôle de la nicotine) : à Crépy-en-Valois, 7,2% des fumeurs de l’étude étaient infectés, contre 28% des non-fumeurs. « En tant spécialiste de santé publique, je vous rappelle que le tabac tue 75000 personnes chaque année en France (Santé Publique France) » indique le Pr Fontanet, embarrassé, bien obligé de constater que le risque d’être infecté diminue de 75% quand on est fumeur.

Cette étude rétrospective confirme aussi que l’anosmie et l’agueusie sont deux symptômes majeurs permettant d’identifier qu’une personne a été contaminée.

En tant que chercheur, il considère que mieux comprendre la protection associée au tabagisme chronique, notamment en identifiant ses bases physiopathologiques, pourrait aider à mettre au point des traitements préventifs ou curatifs du Covid-19.

Cette étude rétrospective confirme aussi que l’anosmie et l’agueusie sont deux symptômes majeurs permettant d’identifier qu’une personne a été contaminée : 84,7% des personnes ayant eu une perte d’odorat et 88,1% ayant eu une perte du goût sont infectées. Si seul un tiers des personnes infectées présente l’un de ces deux symptômes, on peut affirmer toutefois que l’apparition d’un de ces deux symptômes signe la maladie (Anosmie-agueusie liées au COVID-19 : observations et recommandations des jeunes ORL de l’YO-IFOS).

Concernant la proportion des asymptomatiques, elle est de 17 % dans cette étude. Mais les auteurs considèrent qu’il s’agit d’une sous-estimation. Pour eux, cette proportion serait plutôt comprise entre 20 et 40 %.

Enfin, et cela s’explique par la jeunesse de la population, aucun décès n’a été recensé dans la population du lycée, mais 5,3 % des personnes infectées ont été hospitalisées.

 

« Aucun décès n’a été recensé dans la population du lycée, mais 5,3 % des personnes infectées ont été hospitalisées. »

Source : MEDSCAPE

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