CANNES 2022 : Amartei Armar, premier cinéaste ghanéen en lice pour la Palme d’or des courts métrages

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Plus de 3 500 cinéastes du monde entier ont postulé pour participer à la compétition des courts métrages du Festival de Cannes. Votre rêve est devenu réalité. Qu’est-ce que cela vous fait d’être le premier réalisateur ghanéen et, cette année, le seul Africain à être sélectionné pour concourir à la Palme d’or du court métrage ?

Amartei Armar : Cela signifie tout pour moi. Il y a tellement de gens du monde entier ici. Pour moi, Cannes est le meilleur festival pour le cinéma mondial. Nous sommes très honorés que le Ghana puisse faire partie de ce festival et que nous ayons pu rencontrer tant de cultures et de pays différents. C’est incroyable. C’est surréaliste d’être ici.

Tsutsue parle de deux fils de pêcheur dans une petite ville ghanéenne dominée par une décharge à ciel ouvert au bord de la mer. Une des premières phrases du film est une alerte : « La terre se meurt ». Cette prise de conscience a-t-elle également été l’élément déclencheur qui vous a poussé à réaliser Tsutsue ?

Oui, en effet. Tout a commencé par un documentaire. Nous sommes allés le long de la côte, parce que le gouvernement fait des projets pour reconstruire l’industrie de la pêche au Ghana. Lorsque nous avons parlé aux pêcheurs, nous avons constaté que la pollution et le changement climatique s’ajoutaient aux difficultés déjà existantes de la pêche. 70 % des prises qu’ils sortent ne sont que des déchets. L’enjeu pour nous était de parler d’un problème mondial et de l’adapter à un scénario avec un enfant. On a choisi la perspective d’un enfant qui regarde ce qui se passe.

« Tsutsue », du réalisateur ghanéen Amartei Armar.
« Tsutsue », du réalisateur ghanéen Amartei Armar. © La Luna Production / AKA Entertainment

Dans le film, la mer et les ordures sont partout. Néanmoins, la décharge à ciel ouvert est à la fois une source de pollution, mais aussi un terrain de jeu pour les enfants. Et la mer a certes tué le frère d’Okai, mais, en même temps, elle nourrit aussi la famille du pêcheur. Tsutsue, est-ce un film sur la vie et la mort ?

Absolument. C’est exactement ce dont parle le film. C’est aussi un film sur le fait de grandir. Le garçon doit faire face aux grandes questions de la vie. Et il y a toujours un lien entre la vie et la mort. Nous consommons les choses, mais quand il est temps de jeter les restes, où vont-ils ?

Comment avez-vous trouvé les deux garçons Elisha Kirtson-Acquah (Okai) et Idrissu Tontie Jr. (Sowah) pour ce film ?

Le nom du plus jeune signifie « Dieu est grand ». Il est originaire de Teshia, la commune où nous avons filmé. C’est mon producteur Yemoh Ike qui l’a trouvé. Il a cherché beaucoup avant de trouver ce garçon de 8 ans qui a tellement d’énergie et de vie. Il a senti qu’il pouvait rendre justice au film. Pour Junior, nous le connaissions depuis 2017. À l’époque, il avait 10 ans, nous l’avons recruté dans une école. Il a débuté dans mon court métrage Vagabonds, également tourné au Ghana. Aujourd’hui, il a 15 ans et il est presque aussi grand que nous. Les deux garçons sont comme mes fils.

Les garçons portent des masques et des costumes très particuliers. Votre ambition, est-ce d’être entre la performance artistique et le cinéma ?

Nous voulions apporter un aspect un peu surréaliste. Et ce thème a été de façon métaphorique aussi intégré dans l’histoire elle-même. Les costumes reflètent cela aussi. En même temps, ils doivent rester crédibles pour que l’inquiétude demeure réaliste. C’est une sorte d’environnement de science-fiction, un endroit d’où les garçons puisent beaucoup d’imagination, malgré les effets néfastes pour leur communauté.

« Tsutsue », du réalisateur ghanéen Amartei Armar.
« Tsutsue », du réalisateur ghanéen Amartei Armar. © La Luna Production / AKA Entertainment

Vous êtes le fils d’un père ghanéen et d’une mère américaine. Vous avez étudié le cinéma au Canada. Aujourd’hui, vous vivez et travaillez à Accra, au Ghana. Un rapport de l’Unesco a constaté que, après le Nigéria, qui produit plus de 2 600 films par an, le Ghana arrive en deuxième position avec une production annuelle de 600 films. Pour vous, comment se passe-t-il la réalisation, le tournage et la production d’un film au Ghana ?

C’est presque comme si on était à nouveau un étudiant cinéaste. Il faut aller sur le terrain, il n’y a pas de studios ou de lieux où l’on peut tourner sur un plateau. Nous avons la chance de travailler avec La Luna Productions qui ont été très aimable avec nous et qui nous ont guidés dans notre démarche et contribué à réunir des fonds pour le projet. Je dirais que c’est probablement la chose la plus difficile à faire au Ghana, car il n’y a pas autant d’investissements dans le cinéma. C’est toujours aux maisons de production indépendantes de trouver leurs propres moyens de faire des films. Mais nous aimons tellement ça. Nous sommes fous de cinéma, d’histoires. Et nous

Parmi vos inspirations, vous citez de grands réalisateurs comme Alejandro Gonzalez Inarritu ou Agnès Varda, mais aussi un artiste ghanéen, Serge Attukwei Clottey, né en 1985. De quelle manière ce dernier vous a-t-il influencé ?

Par exemple par rapport au masque dans le film. Serge Attukwei est le fondateur de l’Afrogallonisme. Il fait beaucoup d’œuvres d’art sur la pollution et les déchets. Il réutilise les déchets [surtout des jerrycans de plastique jaune, NDLR] et les transforme en installations pour exprimer les préoccupations environnementales [et aussi la politique de migration] dans la société. Dans le film, le jerrycan sous forme de masque prend le dessus sur les déchets de la société. J’ai été vraiment inspiré en regardant son art et nous utilisons les jerrycans presque comme des masques africains.

« Tsutsue » du réalisateur ghanéen Amartei Armar.
« Tsutsue » du réalisateur ghanéen Amartei Armar. © La Luna Production / AKA Entertainment

Par rapport à Alejandro Gonzalez Inarritu et Agnès Varda, ce que j’aime tant chez eux, c’est qu’à chaque fois que je regarde leurs films, il y a tant d’empathie, tant d’amour et de dévouement à la condition humaine. De cette manière, ils brisent les barrières. Par exemple, Vagabond (1985), d’Agnès Varda, j’ai adoré le point de vue de ce film, comment elle a changé la façon dont nous pouvons raconter des histoires, en intégrant des genres différents. C’est une cinéaste légendaire et le Festival de Cannes a donné cette année son nom à une salle de cinéma. Quant à Inarritu, il est un modèle pour le rapprochement entre différentes cultures. Il explore nos façons d’êtres avec toutes nos différences et nos engagements dans le monde. Pour constater à la fin que nous sommes tous des êtres humains. Donc, nous devrions être capables d’interagir, de nous comprendre et d’avoir de l’empathie les uns pour les autres. Au Festival, j’ai vu Les bonnes étoiles de Hirokazu Kore-eda, j’ai eu les larmes aux yeux. C’est un réalisateur japonais avec une histoire coréenne. C’est ça, la beauté du cinéma, unir les gens. C’est ce que nous voulons.

Source : RFI

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