Par Fayçal Sawadogo
Doctorant en finances publiques au Centre d’études et de recherches sur le développement international (Cerdi), assistant de recherches à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi), diplômé de l’Université Ouaga II et de l’Université Clermont-Auvergne
Par Grégoire Rota-Graziosi
Spécialiste des questions de fiscalité et directeur du Centre d’études et de recherches sur le développement international (Cerdi), unité dépendant de l’Université Clermont Auvergne et du CNRS, co-responsable du programme de mobilisation des recettes fiscales à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi), professeur des universités.
La taxe sur les appels internet via WhatsApp, Skype ou Viber a déclenché de nombreuses protestations au Liban, qui ont entraîné, quelques mois plus tard, une crise politique.
De nombreux autres pays, particulièrement en Afrique subsaharienne, ont instauré – dont l’Ouganda, la Zambie et le Kenya – ou essayé d’instaurer – comme le Bénin – des taxes similaires.
Un important potentiel de croissance
La démarche témoigne de la volonté des gouvernements de trouver de nouvelles sources de financement de leur développement. Mais elle est sensible politiquement, et la conception des taxes se révèle souvent inadéquate.
La taxation prend fréquemment la forme de droits d’accises spécifiques, habituellement réservés aux alcools et aux tabacs, qui s’ajoutent aux taxes existantes et particulières au secteur des télécommunications.
“Les télécommunications participent à l’amélioration de l’efficience des marchés”
Pourtant, ce dernier est l’un des plus dynamiques sur le continent et offre encore un potentiel important de croissance. Les taux de pénétration des marchés nationaux restent faibles, autour de 45 % en moyenne quand ce chiffre dépassait 60 % en 2017 dans les autres pays en développement, selon GSMA Intelligence.
Les télécommunications – qui sur le continent comptent des leaders tels que les sud-africains MTN et Vodacom, le français Orange ou encore Maroc Telecom – participent à l’essor économique en réduisant les coûts de transaction et en améliorant l’efficience des marchés.
Des niveaux d’imposition anormalement élevés
Une analyse de la charge fiscale pesant sur les entreprises de ce secteur dans 25 pays africains montre que ces dernières sont généralement plus taxées que les acteurs opérant dans les mines d’or. La comparaison est rendue possible par le calcul d’un taux effectif moyen d’imposition (TEMI), qui permet de faire la synthèse de toutes les taxes appliquées sous le contrôle des ministères des Finances et des agences nationales de régulation.
Dans les télécoms, le TEMI varie considérablement d’un pays à l’autre, de 33 % en Éthiopie ou 35 % au Maroc à 97 % en RDC et même 118 % au Niger. La moyenne se situe à 64 %. Cela signifie que la taxation au sens large représente en moyenne 64 % des profits d’une entreprise sur la durée d’exploitation de sa licence.
Dans le secteur minier, le TEMI varie, lui, de 31 % au Nigéria à 72 % au Tchad. La moyenne est de 46 % contre 64 % concernant les télécommunications. Dans 15 pays, la charge fiscale sur les télécoms est plus élevée que celle portant sur les mines.
Ces dernières demeurent néanmoins plus taxées que les domaines d’activités classiques, c’est-à-dire soumis à aucune taxe particulière liée au secteur même, dans tous les pays de l’échantillon à l’exclusion du Nigeria. Dans plusieurs pays, la charge fiscale correspondant à la seule taxation spécifique des télécommunications dépasse même celle du secteur minier.
Taux effectifs moyens d’imposition (TEMI) pour le secteur des télécommunications, le secteur minier, et le secteur standard
Manque de coordination
Pourquoi taxer davantage un opérateur de téléphonie mobile qu’une entreprise aurifère exploitant une ressource non renouvelable ? L’importance de la charge fiscale pesant sur les télécoms s’explique en grande partie par des taxes et redevances particulières au secteur, souvent imposées par le régulateur. Elle illustre donc le manque de coordination voire la concurrence entre le ministère des Finances et l’autorité de régulation.
De plus, le secteur minier (aurifère ou autre) bénéficie généralement de clause de stabilité le protégeant de toute variation de l’imposition, à l’inverse des acteurs des télécommunications dont l’activité de lobbying est plus récente.
Cette situation nuit à l’économie dans son ensemble
Au-delà du niveau d’imposition mesuré par le TEMI, la forme de l’impôt a toute son importance en termes de montant de recettes fiscales collectées et d’impact sur le développement du secteur d’activité. Certaines ponctions – comme les taxes sur les appels nationaux ou internationaux ou les redevances d’interconnexion – sont particulièrement dommageables pour l’essor du secteur et, par ricochet, de l’économie dans son ensemble.
Ces prélèvements, non progressifs et dont le montant unitaire ne varie pas selon le profit réalisé sur l’appel, augmentent le coût de production du service, créant une distorsion pour l’économie du secteur.
Une révision de ces taxes particulières s’impose afin de les remplacer par une taxation plus neutre économiquement, comme l’impôt sur les sociétés avec un taux majoré par exemple. Une façon de conjuguer mobilisation des recettes fiscales et essor économique.
Source: Jeune Afrique
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