Le développement des technologies numériques a favorisé l’émergence de géants du commerce de détail, tel Amazon, qui brouillent les frontières de la consommation. Or l’attrait pour l’achat local, exacerbé par la pandémie, fait émerger un autre phénomène : le « digilocalisme », grâce à des plates-formes qui combinent la consommation en ligne à l’intérêt local.
La pandémie a amené la fermeture des frontières et avec elle, la tentation de « relocaliser » la production et de « recontinentaliser » les chaînes d’approvisionnement, tandis que les grandes plates-formes comme Amazon sont critiquées pour profiter du malheur engendré par la crise.
Ainsi ont émergé des plates-formes comme le Panier Bleu, Ma Zone Québec, Boomerang, inc, J’achète au Lac, ou la première plate-forme de commerce électronique locale pour les centres commerciaux et EVA qui permet de devenir chauffeur dans un cadre coopératif et d’avoir une influence en tant que propriétaire de l’entreprise.
Ces configurations ont l’avantage de redonner du sens aux activités de consommation et de production. Et, en ces temps de transition, du sens, n’est-ce pas ce que les individus cherchent de plus en plus ?
L’ère du consommateur-fournisseur
Que ce soit par l’intermédiaire de plates-formes de covoiturage comme Eva, d’échanges entre particuliers comme Kijiji, de sociofinancement comme Ulule, ou encore de solution de place de marché (marketplace) comme Dvore, le concept de consommateur-fournisseur est ce qui permet cette transition.
Depuis le début du 20e siècle, les modes de production et de consommation ont été dissociés. Le consommateur a endossé essentiellement le rôle d’acheteur. De nos jours, de nouveaux concepts croisant les deux modes apparaissent. Pensons à la consommation collaborative, l’économie du partage ou le capitalisme basé sur la foule. Le consommateur passif est remplacé par un consommateur acteur, qui adopte tour à tour le rôle de fournisseur, de bénévole, ou de partenaire.
Par exemple, au sein de NousRire, un groupe d’achat d’aliments écoresponsables en vrac québécois, le client adopte le rôle de fournisseur, de bénévole, et plus largement de partenaire de l’organisation.
La grande distribution n’est pas en reste. La seconde vie des meubles d’IKEA France ou le shwopping (contraction de shopping et swap) de Marks & Spencer, qui reprend les vêtements usagés en magasin, fonctionnent sur le même principe du consommateur-fournisseur.
Pour traiter de ce nouveau type de consommateurs, Rachel Botsman et Roo Rogers ont popularisé la notion de consommation collaborative, où le consommateur peut devenir fournisseur grâce à des plates-formes et des applications. C’est le cas avec Facebook Marketplace, Kijiji, InstaCart ou encore VarageSale.
Pas seulement pour économiser
Mais qu’est-ce qui motive le recours à ces types d’échanges ? Si les raisons financières et utilitaires priment pour les acquéreurs et les fournisseurs, les fournisseurs sont également fortement motivés par autre chose que l’unique aspect financer. La valeur de ce qu’ils fournissent est souvent supérieure à la compensation obtenue en échange. Le fournisseur doit donc être motivé par autre chose que le seul gain financier pour investir des efforts dans un tel échange. Ces actions peuvent être motivées par la contrainte, la socialisation, la volonté de contribuer à la société, voire l’altruisme.
Les individus disposent d’une variété de plates-formes pour échanger, mais aussi pour former, conseiller, notamment avec Coursera, ou impartir des tâches grâce à Amazon MTurk, par exemple.
Dans la santé, s’opère actuellement une transition vers la santé numérique, qui répartit mieux l’offre de santé au sein de territoires et permet aux individus de donner des conseils et d’intervenir sur des forums, des groupes ou des communautés de patients en ligne.
Démocratiser les marchés
Le secteur financier s’est aussi démocratisé. Les plates-formes de sociofinancement comme Ulule permettent aux individus de donner ou d’investir dans des projets portés par d’autres personnes, tandis que les plates-formes comme eToro démocratisent l’investissement dans les marchés financiers. Ces plates-formes permettent ainsi, par les individus, de drainer du capital dans des zones négligées par l’investissement public ou privé pour redynamiser des économies locales.
Les cryptomonnaies et la chaîne de blocs constituent un autre cas d’intérêt. Des milliers de cryptomonnaies existent, comme le Bitcoin, et les mineurs se substituent aux banques centrales. Le projet de cryptomonnaie Diem de Facebook, laisse entrevoir l’émergence d’un « écosystème numérique total », une société centrée sur l’individu, dématérialisée et démonétisée.
L’Inde a déjà tenté de mettre en place une société sans argent liquide, en 2016. Cette politique a eu des impacts sur les pratiques spécifiques aux pays émergents, dont le paiement comptant à la livraison, qui est devenu le paiement à la livraison. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Les transactions collaboratives souvent informelles devinrent certes beaucoup plus fluides, mais totalement traçables et taxables !
Une économie controversée
L’économie collaborative constitue probablement la manifestation la plus visible, la plus documentée, et la plus controversée de cette reconfiguration des échanges marchands. L’industrie hôtelière se plaint d’Airbnb et les taxis en ont contre Uber, car tout le monde peut désormais héberger ou transporter d’autres personnes contre rémunération. Les batailles à ce sujet se sont soldées par certaines lois plus accommodantes, amenant ces plates-formes à renforcer leurs activités au Québec.
Pour les autorités, cette normalisation permet aussi de transférer au secteur privé la charge de satisfaire des besoins devant, autrement, être pourvus par le secteur public. Dans le transport, par exemple, l’offre de services de covoiturage permet de pallier le manque de services publics de transport en commun. Les citoyens sont également attachés à ces pratiques, car elles satisfont nombre de leurs besoins, tout en maximisant l’utilisation des ressources dormantes, en permettant un meilleur accès aux ressources pour les plus démunis, et en baissant le chômage.
Toutefois, il n’est pas certain dans quelle mesure ces plates-formes dégradent le travail ou si elles le réinventent en faisant du fournisseur un « entrepreneur ».
Une illusion de pouvoir ?
Il faut également comprendre les transformations que les algorithmes des plates-formes génèrent en matière de gouvernance, d’inclusion et de droits des utilisateurs. En effet, la quantité exponentielle de données générée par les plates-formes accroît la capacité des firmes dominantes à identifier très tôt les besoins des utilisateurs et à évaluer très précisément leurs capacités de paiement, ce qui peut amener à de la discrimination. De plus, les plates-formes présentent une forte opacité des prix, car elles personnalisent et ajustent souvent les prix en temps réel en fonction de chaque utilisateur.
Par ailleurs, l’économie collaborative demeure monopolisée par des géants technologiques, laissant peu de place à l’émergence ou à la survie de plates-formes plus modestes. Donc, en somme, le consommateur a une illusion de pouvoir en devenant un fournisseur – que l’on appelle entrepreneur, flexi travailleur ou travailleur autonome – au service de méga-platesformes.
Le digilocalisme peut-il faire sa place dans cet univers ? Ces plates-formes nées de la pandémie dans un élan de soutien à l’économie locale ont-elles des chances de survie à plus long terme ?
Selon une étude de cas des plates-formes de covoiturage de petite et moyenne taille en Chine, la seule chance de survie des plates-formes plus modestes réside dans le fait de combler les besoins non pris en compte par les géants, dont les segments de clients desservis, les partenaires essentiels, la proposition de valeur offerte, ainsi que la structure des coûts et de revenus.
Il est néanmoins certain que les développements récents en technologies numériques ont donné davantage d’occasions de contribution aux individus. Cette transition numérique déjà bien amorcée s’est accélérée avec la pandémie de la Covid-19 et ne s’arrêtera probablement pas de si tôt !
Source: theconversation.com
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