Marketing: Histoire du marketing de la formation. Par Stéphane Diebold

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Le marketing de la formation a été longtemps un oxymore au sein des entreprises, associé le marketing, le marché, à la formation, l’humain, était un non-sens. Aujourd’hui, l’essentiel des responsables de formation markettent leurs formations. Qu’est-ce qui a changé ?

Oliviero Toscani disait que le marketing, c’est « mettre en société » et qu’aujourd’hui si la société est de plus en plus difficile à comprendre, le marketing devient un outil de connaissance des comportements des apprenants, une technique éprouvée pour répondre à une demande et/ou proposer une offre. Savoir donner une appétence pour une formation est une technique qui se professionnalise. Qu’est-ce qui marche vraiment aujourd’hui ? Comment proposer la bonne formation au bon moment ? Autrement dit, où en est-on de l’histoire du marketing de la formation ?

La formation était transactionnelle

Historiquement, le marketing est une fonction de l’offre. Après le temps des producteurs, le temps des vendeurs, le temps des marketeurs est venu quand la production et la vente ne permettait plus d’écouler suffisamment les produits et services. Il s’agissait d’anticiper les ventes en étudiant les comportements des consommateurs. Le marketing est composé de techniques pour organiser la rencontre d’une offre et d’une demande. Il est devenu massivement stratégique en France dans les années 70, comme le rappelle Marc Meuleau (De la distribution au marketing, 1993).

La formation contemporaine en entreprise, quant à elle, est née de la volonté des dirigeants. Par exemple, Cegos est né en 1926 d’une association patronale qui militait pour l’Organisation Scientifique du Travail, d’où d’ailleurs le « OS » de Cegos. Mais, la formation de masse, pour l’ensemble de l’économie, est née il y a plus de 50 ans avec la loi dite Delors qui a eu comme conséquence une standardisation des produits de formation autour de l’OSF. Au 20ème siècle, les experts disaient ce qu’il fallait apprendre et les apprenants se formaient à ce qui était dit. Le journaliste, Paul Dupouey a écrit en 1990 le premier livre sur le « Marketing de l’éducation et de la formation » qui illustre de la difficulté « à vendre » de la formation. Son cadre de référence était le cadre de référence la plus démocratisé à l’époque, le marketing de Philip Kotler. Des 4P, le marketing interne insistait particulièrement sur la communication. Trouver les bons mots pour « habiller le bossu » comme disent les designers, un habillage des contenus qui changeaient peu sur le fond.

Qu’est-ce qui s’est joué à l’époque ? La mobilisation des apprenants est de plus en plus difficile, l’infobésité qui ne porte encore son nom, réduit l’attention des apprenants. Et l’expert qui sait dans un monde en disruption est une posture de plus en plus difficile à tenir, certains parlent même de « La faillite des élites » (Michel Maffesoli, 2019), là où d’autres parlent de changement de paradigme. La vérité sociale est en interrogation et les apprenants de plus en plus difficiles à atteindre. L’autorité sociale qui imposait doit aujourd’hui convaincre. Et la technique pour donner envie s’appelle le marketing. On sait le faire pour des yaourts pourquoi pas pour des formations ? C’est le passage d’une fonction de l’offre à une fonction de la demande.

La formation est devenue une relation apprenante

Le marketing est devenu relationnel grâce au numérique. La puissance des machines permettait d’individualiser le parcours de chaque collaborateur. S’il y a deux dates à retenir, on pourrait dire 1981 et 1967. 1981, la naissance du PC, Personal Computer d’IBM, et celle d’Internet en 1969 qui ont connecté les apprenants. C’est la naissance du « One to One », l’entreprise peut former individuellement. C’est en 2001, sur le modèle du CRM, Costumer Relationship Management, qu’est né en France le premier événement sur le Learner Relationship Management, LRM. Les entreprises peuvent individualiser les parcours de formation en masse. Si le 20ème siècle était le siècle de l’expert, le 21ème siècle est le siècle des apprenants. Le marketing se professionnalise avec la création de la data et de la big data pour connaître les apprenants dans leurs spécificités et leur proposer une stratégie de push/pull individualisée, faire massivement du sur-mesure.

« Centré la relation sur l’apprenant », « remettre l’apprenant au centre de la formation », nécessite de travailler la relation afin de la rendre la plus fluide possible. L’accroche de l’apprenant se fonde sur la promesse de la formation, la valeur perçue. On peut remarquer que la promesse est souvent de la réclame : par exemple, Klaxoon à ses débuts proposait sa solution pour augmenter de 30 % l’efficacité des réunions. La rencontre, a-t-elle eu lieu, le LSAT (Learner Satisfaction) permet d’évaluer si la promesse a été tenue. Dans la relation, l’apprenant est écouté dans ce qu’il a à dire. Et cette satisfaction est au cœur de la confiance dans la formation et la fidélisation qui en découle. Autrement dit, avec la relation apprenante, il ne s’agit plus de faire une formation, mais de construire un parcours qui s’inscrit dans le temps, une formation appelle l’autre, à condition de ne pas décevoir. C’est tout le travail de la fluidité, connaître les points noirs du parcours de formation, de l’idée, à l’envie, à l’inscription, à sa réalisation jusqu’à son suivi. C’est un travail d’ergonomie de parcours.

En écoutant l’apprenant, on s’aperçoit que pour lui la formation doit être un lieu où il se passe quelque chose. C’est la fameuse Learner experience (LX) qui fait des formations des aventures à vivre, « l’effet waouh ». Il s’agit de construire des parcours impactant, extraordinaire, qui sortent de l’ordinaire, pour que l’apprenant s’engage encore davantage dans la relation. Le marketing devient un outil pour analyser les profils en temps réel pour proposer aux apprenants ce qu’ils désirent, mieux, d’anticiper leurs désirs pour épicer la relation aux connaissances et compétences. La prédictibilité donne des résultats intéressants et ce n’est que le début. La machine connaît mieux l’apprenant qu’il ne se connaît lui-même.

La formation devient communautaire

Le marketing relationnel, “One to one”, est une avancée énorme dans la prise en compte des spécificités de chaque apprenant. Mais cette avancée dans l’individualisation, se traduit aussi par un émiettement des apprenants, pour reprendre le terme de Georges Friedmann (1956). Là encore, c’est la technique qui a ouvert de nouvelles opportunités avec la naissance des réseaux sociaux. On peut rappeler que LinkedIn est né en 2002 et Facebook en 2004. L’homme est un animal social disait Aristote, le One to one, en fait un animal seul. Se former est un apprentissage social, l’apprenant a besoin de voir les autres apprendre pour apprendre lui-même. La communauté apprenante synchrone ou asynchrone devient une pratique de la formation avec de nouveaux comportements, qui appelle le marketing, le marketing 2.0.

Intelligence collective, communauté apprenante, pairagogie… autant de notions qui favorisent l’engagement de l’apprenant. On voit de plus en plus d’évaluation qui se fondent sur le social scoring. Plus l’apprenant interagit plus cela signifie que le sujet l’intéresse et que l’apprentissage, qui commence par l’attention, augmente sa possibilité d’être efficace. L’engagement est une valeur montante avec le Learner Generated Content (LGC) qui a l’avantage de partir de l’apprenant sur des sujets qui lui parlent. Le storytelling est remplacé par le storymaking qui fait de l’apprenant « l’auteur » de sa formation (Ivan Illich). Et ce qui est pratique pour le marketing, c’est que l’engagement s’évalue facilement.

La formation construit un espace où la parole est protégée, ce qui libère l’engagement. Mais c’est son animation qui donne une raison d’expression à la communauté. Le content doit être construit pour ouvrir le débat. Cette parole est source d’information. Par exemple le wording permet d’évaluer le niveau de connaissance et de compétences des apprenants. Suivant les mots et les idées utilisées, il est possible de comprendre le besoin de l’apprenant, parfois même avant qu’il le sache lui-même. Le marketing quantitatif se double d’un marketing qualitatif en laissant le groupe composer lui-même ses objectifs pédagogiques, voire sa propre pédagogie. Le groupe favorise la transparence et le social scoring n’est pas seulement une évaluation individuelle mais aussi collective ; chacun connaît le score de tous. Et les « social experts », ex-pairs, peuvent aider de pair à pair, une autre approche qui suit le marché.

Le marketing est un outil social, un outil de création du social. La formation est un apprentissage socialisé, ce que la société dit qu’il faut apprendre. Elle crée aussi du social. Les deux devaient forcément se rencontrer autour de l’opérationnalité. Reste à définir la société à laquelle on fait référence. Un apprenant, oui, mais rationnel, émotionnel, relationnel… ? Un collectif, oui, mais top down, bottom up, P2P… ? C’est là tout l’intérêt du marketing, étudier les comportements et organiser la performance. Le marketing n’est valable que tant qu’il atteint ses objectifs. Voilà une leçon qui devrait inspirer la formation.

À propos de l’auteur

Stéphane Diebold a mis son expérience au service de l’innovation pédagogique et de la performance en entreprise, au sein de TEMNA dont il est le fondateur depuis 2003. Associatif, il a assumé des responsabilités dans une dizaine d’association, essentiellement formatives, aujourd’hui Président fondateur de l’AFFEN (Association Française pour la Formation en Entreprise et les usages Numériques).

Source: Focus RH

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