Ils travaillent le plus souvent dans l’ombre, mais font partie des personnages les plus influents du microcosme NBA. Ce “ils”, ce sont les agents de joueurs, qui défendent les intérêts de leurs clients dans les différentes négociations. À la tête de l’agence Klutch Sports et représentant de la superstar LeBron James, Rich Paul est un incontournable du paysage. Mais qui est-il vraiment ? Quel est son parcours ? Et qu’est-ce qui fait de lui l’agent le plus puissant de toute la NBA ?
2002, LA RENCONTRE AVEC LEBRON JAMES
Glenville, quartier dans l’Est de Cleveland, dans l’État de l’Ohio. C’est ici que Rich Paul grandit dans les années 1980 et 1990, plus précisément à l’intersection de la 125e rue et d’Arlington Avenue. L’ambiance ? Elle est plutôt glauque : précarité, violence, drogues, bref on est dans l’un des coins les plus difficiles de la ville. Mais au milieu de tout ça, il y a une épicerie, le R & J Confectionery, qui sert un peu de repère pour la communauté locale. Le gestionnaire de ce dernier n’est autre que le père de Rich Paul, qui a monté son business dans le but d’ouvrir des portes à son fils, avec lequel il vit juste au-dessus du petit magasin.
C’est ainsi que Rich a l’opportunité d’intégrer le lycée privé de Benedictine, école blanche et catholique où les élèves afro-américains comme lui sont rares. Une étape importante qui permet à Paul de s’asseoir sur les bancs de l’université d’Akron, mais une tragédie familiale va bousculer cette belle trajectoire. En 1999, son père est atteint d’un cancer, ce qui pousse le fils à revenir à Cleveland (il change d’université pour aller à Cleveland State). Malheureusement, Rich quitte prématurément l’université quand Paul Sr. décède de la maladie. Sans lui, et alors que sa mère Peaches doit faire face à des problèmes d’addiction aux drogues dures, l’avenir s’assombrit pour le jeune homme de 19 ans.
Comme beaucoup de gamins, Rich Paul rêvait de jouer en NBA durant sa jeunesse. Mais quand on fait à peine 1m75 avec des chaussures, il vaut mieux avoir un autre plan en tête. Et le plan de Rich, c’est… la revente de maillots vintage NBA et NFL. Aux côtés de son père, il a appris pas mal de leçons en matière de business et d’entrepreneuriat, tandis que sa passion pour les sports US lui donne une belle connaissance du domaine sportif. Rich se lie notamment avec un certain Andy Hyman, basé à Atlanta et créateur de Distant Replays (spécialisé dans les maillots throwback). C’est Hyman qui file les maillots à Paul pour que ce dernier puisse les revendre deux fois plus cher à Cleveland. Rich parcourt les rues de la ville, maillots dans le coffre de sa voiture. Certains d’entre eux partent pour pas moins de 300 dollars, de quoi bien se remplir les poches et faire grandir son business.
“C’était le destin. J’aurais pu rater cet avion. J’aurais pu prendre un vol plus tôt. J’aurais pu ne pas porter ce maillot. J’aurais pu être de mauvaise humeur et refuser de lui parler.”
– Rich Paul, via le New York Times
LeBron et Rich, qui ont comme point commun une enfance compliquée dans les coins les plus difficiles de l’Ohio, restent ensuite en contact et commencent à s’apprécier. Mais ils se rendent compte surtout qu’ils parlent le même langage. Les deux sont ambitieux, les deux veulent monter très haut, et James est impressionné par le côté businessman de Paul. Alors quand le “Chosen One” est sur le point d’intégrer la Draft NBA 2003, il pense à ce petit gars qu’il a rencontré dans un aéroport une année plus tôt, et lui propose un salaire de 48 000 dollars à l’année. LeBron, en plus de ses potes d’enfance Maverick Carter et Randy Mims, veut Rich Paul à ses côtés pour le début de son aventure dans la Grande Ligue. D’une manière ou d’une autre.
LE PASSAGE CHEZ CAA, ET LA CRÉATION DE KLUTCH SPORTS
Deux ans après la Draft 2003, LeBron James prend une décision assez radicale en se séparant de son agent Aaron Goodwin. C’est l’une des étapes dans la volonté de James de réorganiser l’équipe qui contrôle son image et sa marque. Aux côtés de Maverick Carter, Randy Mims et Rich Paul, LeBron crée la L.R.M.R. Management Company en 2006. L’objectif derrière cette initiative ? Donner une vraie plateforme à ses copains, et surtout les responsabiliser pour prouver à tout le monde qu’un petit groupe de quatre Afro-américains du fin fond de l’Ohio est capable de gérer une carrière aussi énorme que celle qui attend le King. Rich Paul devient alors officiellement un partenaire business de LeBron, rôle à travers lequel il organise notamment divers événements pour James. Une belle opportunité pour Rich, néanmoins son objectif est ailleurs.
“Je veux devenir un agent NBA, ton agent.”
– Rich Paul à LeBron James
Businessman intelligent mais ne possédant pas d’expérience en tant qu’agent de joueurs, Rich Paul a bien conscience qu’il n’est pas encore prêt pour une telle responsabilité. Alors il décide de se former. Où ça ? Chez un certain Leon Rose, agent NBA qui monte en puissance. Ce dernier représente LeBron James depuis 2005, et LBJ profite de cette relation pour ouvrir une porte à son copain Rich qui évidemment fonce sur l’occasion.
À partir de 2008 et pendant quatre bonnes années, Rich Paul va apprendre les ficelles du métier aux côtés de Rose et au sein de l’agence CAA Sports. Sa mission première ? Chercher des clients pour son boss afin de lui permettre d’élargir encore plus son portefeuille. Dans le même temps, il observe Leon Rose durant les négociations avec (entre autres) des dirigeants de franchises NBA, prenant des notes sur la manière avec laquelle son mentor défend l’intérêt de ses clients. Rich fait progressivement ses preuves et gagne en responsabilités aux côtés de Rose. Symbole de la confiance grandissante que Leon possède envers lui, le copain de LeBron participe de plus en plus aux négos, prenant ainsi de la bouteille dans un métier où l’expérience est évidemment cruciale. Et au début des années 2010, Paul commence même à avoir ses propres clients, lui qui représente alors les jeunes Michael Kidd-Gilchrist (numéro 2 de la Draft 2012), Tristan Thompson (numéro 4 de la Draft 2011) et Eric Bledsoe (numéro 18 de la Draft 2010).
“J’ai eu une superbe formation. Travailler à CAA, c’est comme aller à l’université de droit du Michigan ou à MIT.”
Rich Paul, via ESPN
Rich Paul se sent prêt pour voler de ses propres ailes. “Je veux devenir un agent NBA, ton agent” disait-il à LeBron James quelques années plus tôt. Ce moment arrive officiellement en septembre 2012, quand Rich décide de quitter CAA pour créer sa proche agence : Klutch Sports Group. Son premier client ? LeBron, évidemment.
Comme Paul, le King se détache de Leon Rose et de CAA afin d’être désormais représenté par son copain Rich. Dix ans après leur rencontre dans un petit aéroport de Canton dans l’Ohio, le duo frappe un très grand coup dans le paysage NBA. En effet, ce n’est pas commun de voir une agence comme Klutch Sports sortir de terre en un instant ou presque et attirer directement le plus gros des poissons NBA. Ce n’est d’ailleurs tellement pas commun que la NBA enquête auprès de Klutch pour s’assurer que LeBron n’a pas financé la création de cette agence, une manœuvre interdite par la Grande Ligue sachant que James reste un joueur.
Pour lancer sa nouvelle agence sur de bonnes bases, Rich Paul fait appel à Mark Termini – agent de longue date et également avocat – pour gérer notamment les questions légales entourant la signature de nouveaux contrats. Après LeBron, d’autres clients viennent rapidement rejoindre Klutch Sports, dont Eric Bledsoe et Tristan Thompson que Paul représentait déjà chez CAA.
Who is Rich Paul? @iamisiahthomas sat down with the one of the most influential agents in the @NBA for NBA TV . pic.twitter.com/IMidJubDYA
— NBA TV (@NBATV) July 2, 2017
RICH PAUL : UN PERSONNAGE PUISSANT, CONTROVERSÉ, QUI BOUSCULE LES CODES
Septembre 2018. La superstar des Pelicans Anthony Davis rejoint l’agence Klutch Sports de Rich Paul, ce dernier devenant ainsi son agent. À peine quelques mois plus tard, AD indique à la direction de la franchise de New Orleans qu’il ne compte pas prolonger à l’intersaison 2020 – quand son contrat se termine – et demande publiquement à être transféré. Arrive ensuite l’été 2019. Après plusieurs mois de tension entre le camp Davis et les Pels, le monosourcil est officiellement envoyé chez les Lakers d’un certain… LeBron James dans un transfert XXL.
Ce dossier Anthony Davis, qui a beaucoup fait parler il y a quelques années, est un excellent exemple pour illustrer la dynamique entourant Rich Paul depuis ses débuts en tant qu’agent.
1) Il montre tout d’abord la grande place qu’a prise l’agence Klutch Sports dans le paysage NBA. En 2018, six ans après sa création, Klutch possède pas moins de 20 clients dans la Ligue dont plusieurs grands noms comme LeBron et AD donc, mais aussi Ben Simmons ou encore John Wall. Et quand Forbes sort sa liste des agents les plus influents du milieu du sport professionnel en 2020, Rich Paul est classé quatrième (et deuxième dans le basket juste derrière Jeff Schwartz) avec des contrats signés pour un total de 1,4 milliard de dollars (pour 55 millions de commission).
2) Il symbolise ensuite l’ère du player empowerment, qui a véritablement démarré en 2010 avec le show TV “The Decision” de LeBron James (quand le King a quitté Cleveland pour Miami en tant qu’agent libre) où Rich Paul avait joué un rôle aux côtés de l’architecte de l’émission Maverick Carter. Durant toute la décennie qui suit, de nombreuses stars NBA prennent le chemin emprunté par LeBron et décident de changer d’équipe en demandant un transfert ou en partant via la Free Agency. Anthony Davis fait donc partie de ceux-là, poussé par Rich Paul qui a fait en sorte d’orienter les négociations vers les Lakers de LeBron plutôt que les Celtics ou encore les Knicks (Boston est particulièrement intéressé par AD à l’époque, mais Paul prévient les Celtics qu’il partira dès qu’il sera agent libre). Paul est également celui qui a négocié des contrats courts pour James (un ou deux ans) au milieu des années 2010, une pratique nouvelle pour permettre au King d’avoir une grande marge de manœuvre chaque été (mettant ainsi la pression sur les franchises) et gagner le maximum de dollars.
3) Il est symbolique de la réputation de Rich Paul en NBA, lui qui est considéré comme un agent n’hésitant pas à entrer en conflit avec les franchises pour défendre à fond l’intérêt de ses clients. Que ce soit pour forcer un départ comme avec Anthony Davis ou plus récemment avec l’affaire Ben Simmons/Sixers, mais aussi pour obtenir le meilleur contrat possible en cas de prolongation potentielle. En 2015 par exemple, il a poussé l’intérieur des Cavaliers Tristan Thompson (qui avait joué un rôle important dans le parcours des Cavs vers les Finales NBA la saison précédente) à bouder la franchise de Cleveland pendant plusieurs mois, jusqu’à obtenir un nouveau deal de 82 millions de dollars sur cinq ans.
Néanmoins, cela ne se termine pas toujours aussi bien pour les clients de Rich. L’intérieur Nerlens Noel, sous les conseils de Paul, a refusé une prolongation de 70 millions sur quatre ans de la part des Mavericks en 2017, tout ça pour finalement se retrouver avec une pauvre qualifying offer de 4,1 millions sur un an. Noel quittera Klutch Sports par la suite et poursuivra même Rich Paul en justice pour négligence (l’affaire sera classée sans suite).
4) Il nourrit la (fausse) perception disant que Rich Paul n’est rien d’autre que l’homme de main de LeBron James. Forcément, en dirigeant une superstar comme Anthony Davis vers l’équipe où évolue également son copain et tout premier client, Paul a également fait une grosse faveur au King (certains à travers la NBA pointent alors du doigt un conflit d’intérêts), qui remportera quelques mois plus tard son quatrième titre de champion aux côtés d’AD aux Lakers. Cette perception, Rich Paul doit y faire face depuis qu’il s’est associé avec LeBron et plus particulièrement depuis qu’il est devenu agent NBA. Une perception que Rich n’a jamais voulu accepter, même s’il a évidemment toujours eu conscience de l’opportunité offerte par James.
“Quelqu’un peut vous mettre sur le devant de la scène et vous donnez le micro, mais si vous ne savez pas chanter, le public va siffler.”
Ne possédant aucun diplôme universitaire, venant du fin fond de l’Ohio et ayant forcément profité de l’ascension fulgurante de James pour se faire une place, Rich a souvent dû faire face aux doutes concernant sa légitimité au cours de ses premières années. Alors le voir dans une position aussi puissante que celle dans laquelle il se trouve, ça dérange, Paul s’attirant un grand nombre de détracteurs qui remettent en question ses compétences ainsi que ses méthodes. La preuve, en 2019, la NCAA change son règlement pour les agents en les obligeant à détenir un diplôme universitaire pour pouvoir représenter des prospects visant la Draft NBA, une nouvelle règle que LeBron James nomme tout de suite la “Rich Paul Rule” et destinée selon le King à limiter l’influence grandissante de son agent. À peine quelques mois plus tôt, Paul bousculait les codes en poussant le prospect Darius Bazley à revenir sur son engagement vers l’université de Syracuse pour faire un stage de trois mois chez… l’équipementier New Balance pour 1 million de dollars, tout en continuant à se préparer pour la Draft 2019. Sous la pression exercée par LeBron, la Rich Paul Rule sera rapidement retirée par la NCAA.
“Vous savez, beaucoup de ces gamins qui sont draftés, ils viennent de quartiers pauvres, parfois ils ont grandi avec qu’un seul parent, et sont la première génération [dans leur famille, ndlr.] à vraiment gagner beaucoup d’argent. C’est le cas aussi pour Rich et moi, donc il comprend ces gamins. Il est en capacité d’avoir de vraies discussions avec eux.”
– LeBron James sur Rich Paul, via The New Yorker
Tout ça, c’est Rich Paul. Le pote de LeBron certes, mais surtout un agent puissant, influent, controversé, au parcours atypique et qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus pour l’intérêt de ses clients. Et celui qui partage aujourd’hui une relation avec la célèbre chanteuse Adèle ne compte clairement pas s’arrêter en si bon chemin.
Depuis 2019, Klutch Sports s’étend de plus en plus dans le paysage sportif US. Klutch est d’abord devenu partenaire avec United Talent Agency, pour laquelle Rich Paul développe la section sportive, avant d’acquérir coup sur coup Revolution Sports Agency et Tidal Sports Group, spécialisées respectivement dans la représentation de joueurs NFL (football américain) et MLB (baseball).
Traduction, Rich Paul ne veut se mettre aucune limite, aucune frontière. Et s’il n’oublie pas jamais d’où il vient, qui sait jusqu’où il peut aller.
“Si on m’avait dit à 9 ans que je serai dans la position dans laquelle je suis aujourd’hui, je ne l’aurais pas cru.
L’argent vient et repart. Mais si vous avez de l’intégrité, une éthique de travail, une capacité à bien faire les choses, l’argent viendra tout seul. Je ne cherche pas l’argent, je fais ce que je considère comme juste. Rien n’a jamais été facile pour moi et ma famille. J’ai dû apprendre des techniques pour survivre, et cela m’aide aujourd’hui.”
Source: trash talk
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