Washington et Pékin ont chacun constitué un bloc économique régional. Pour soutenir la comparaison et stimuler les échanges multilatéraux, l’Union européenne doit chercher des partenaires au Sud.
Les États-Unis ont, de longue date, construit un espace « pertinent » et cohérent pour renforcer leur souveraineté. Outre l’Amérique elle-même (332 millions d’habitants), il comprend le Canada (38 millions) et le Mexique (130 millions).
Cet ensemble de 500 millions d’âmes est suffisamment vaste et riche en sources d’énergie, en main d’œuvre jeune, en matières premières, végétales ou minérales. L’Accord Canada – États-Unis – Mexique (ACEUM) qui, signé en 2018, a succédé deux ans plus tard à l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) de 1994, promeut la vision américaine du monde en 2040 telle qu’elle a été décrite par la CIA : « Nous vivons dans des silos séparés : le monde est fragmenté en plusieurs blocs économiques et de sécurité de taille et de force variables, centrés sur les États-Unis, la Chine, l’Union européenne (UE), la Russie et quelques puissances régionales ; ces blocs sont axés sur l’autosuffisance, la résilience et la défense. Les informations circulent dans des enclaves cyber-souveraines distinctes. Les chaînes d’approvisionnement sont réorientées, et le commerce international est perturbé. »
Préférence communautaire
La Chine a, elle aussi, créé une région verticale, du pôle Nord au pôle Sud, intégrant le Japon, les pays de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), l’Australie, la Nouvelle-Zélande. Cette grande région rassemble 3 milliards d’individus et contribue au PIB mondial à hauteur de 30%. Fruit d’un long travail préparatoire, confié à une fondation, l’ERIA, qui a mobilisé les meilleurs experts et chefs d’entreprise, ce bloc asiatique est régi, depuis le 1er janvier 2022, par le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP).
L’Europe, dès 1957 (traité de Rome) et 1962 avec la Politique agricole commune (PAC), a été la première à créer un grand marché régional, assorti de la préférence communautaire. Ayant donné l’exemple, elle ne peut donc pas s’offusquer que les États-Unis et la Chine recourent, eux aussi, à une régionalisation des échanges. Mais l’UE n’a pas encore atteint la dimension géographique optimale. Il lui manque des partenaires dans le Sud, notamment pour les énergies renouvelables, les matières premières et la jeunesse de la main d’œuvre.
Objectifs ambitieux
Dès lors, pour compter face aux États-Unis et à la Chine, l’Europe n’a d’autre choix que de se trouver des partenaires dans le Sud pour créer progressivement, elle aussi, un axe vertical. Au cours d’une première étape, l’UE devrait façonner avec les pays du Maghreb (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Égypte) un espace régional pertinent Nord-Sud, fort de 666 millions d’habitants.
Cette intégration économique devrait fixer des objectifs ambitieux : un marché commun avec une préférence commune aux frontières ; la sécurité alimentaire au Sud et la sécurité énergétique au Nord ; une Communauté méditerranéenne de l’énergie (CME) ; la normalisation des relations entre l’Algérie et le Maroc ; un champion mondial euro-méditerranéen pour les énergies renouvelables ; la dépollution de la Méditerranée et la rationalisation de son usage en taxant, par exemple, la traversée du détroit de Gibraltar, qui est un bien public mondial ; des centres de formation professionnelle euro-méditerranéens cogérés pour les métiers « en tension » ; un vaste programme de réindustrialisation et de coproduction Nord-Sud, incluant partage de la valeur ajoutée, transferts de technologies et respect des exigences de la responsabilité économique, sociale et environnementale (RESE) ; la promotion de l’agriculture biologique et d’un marché commun agroalimentaire.
Attention : si la Chine s’implante durablement et produit sur la rive Sud de la Méditerranée, c’en sera fini de la réindustrialisation de l’Europe.
Au cours d’une seconde étape, l’UE devra créer une grande région verticale allant du Nord de l’Europe au Sud de l’Afrique, qui, en 2050, comptera 3,2 milliards d’habitants (2,7 milliards d’Africains et 0,5 milliard d’Européens), des richesses humaines et naturelles exceptionnelles, des populations insérées dans seulement quatre fuseaux horaires et culturellement proches.
Intégration régionale et multilatéralisme
Pour réussir cet arrimage des deux continents reliés par la Méditerranée, il convient de suivre, là encore, l’exemple des Américains et des Asiatiques et de mettre en place : une fondation qui mobilise les experts universitaires et les milieux patronaux susceptibles de formuler des propositions d’intégration réalistes ; une banque intercontinentale pour faciliter la mobilité des capitaux et la sécurité des investissements, ainsi que pour régler les contentieux ; un traité de coproduction, d’échange et de formation pour une nouvelle économie verte résiliente ; une structure politique de concertation.
Ce travail d’organisation institutionnelle de la régionalisation, avec un recours éventuel à un protectionnisme régional, doit être considéré comme une étape nécessaire, mais non comme une finalité en soi. En ce sens, l’UE est une expérience unique et exemplaire.
En effet, fortement intégrée régionalement, l’Europe, déploie, aussi, des actions multilatérales en matière de climat, d’énergies renouvelables, de recherche d’un nouveau modèle économique exigeant sur le plan social et sur le plan environnemental, ou de lutte contre les paradis fiscaux. C’est l’Europe qui donne l’exemple de ce que devrait être une nouvelle mondialisation qui concilie intégration régionale et multilatéralisme.
Si, au contraire, la régionalisation de la mondialisation était conçue comme une stratégie d’isolement économique et d’affrontement politique (comme la confrontation entre la « région américaine » et la « région chinoise » pourrait le faire croire), alors elle serait dévoyée et devrait être combattue.
En somme, les trois grandes régions verticales – l’américaine, la chinoise et l’euro-africaine – ne doivent pas être conçues comme des blocs définitivement fermés, mais comme de nouvelles constructions, capables de susciter de riches relations multilatérales. La régionalisation, telle que l’Europe en donne l’exemple, ne s’oppose pas à la mondialisation. Elle devrait être la source d’une nouvelle « re-mondialisation », selon l’expression de Ngozi Okonjo-Iweala, la directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La France et l’Europe ne doivent pas laisser aux dictateurs et aux populistes le soin d’inventer le nouvel ordre mondial.
Source – Jeune Afrique
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