A partir d’épluchures, de légumes et fruits avariés ou de restes de repas, un méthaniseur produit du biogaz pour la cuisine. Plus de 2 300 ont déjà été installés dans le pays.
Ses voisins l’ont pris pour un fou. Quand Cheikhou Thiome leur a expliqué qu’il pouvait créer du gaz à partir des restes d’un thiéboudiène ou d’un yassa, « ils n’ont pas voulu [le] croire », se souvient le professeur d’anglais de 59 ans. A côté de l’entrée de sa maison encore en chantier, où quelques poules font les cent pas, il a installé en 2020 un objet gonflable qui semble vivant tant il gargouille.
Un tuyau s’échappe de cet engin noir, traverse le mur en parpaing de la bâtisse pour relier un réchaud qui trône au centre de la cuisine. Depuis une demi-heure, son épouse prépare sur cette plaque un domoda – un ragoût sénégalais – pour leurs cinq enfants. « Nous avons du gaz à volonté, s’enthousiasme M. Thiome. Et maintenant, tous nos voisins nous envient. »
Il y a trois ans, cet habitant de Yenne, un village de la petite côte située à 40 kilomètres au sud-est de Dakar, a voulu s’équiper d’un appareil qui permet de produire du biogaz, uniquement à partir de déchets organiques ou de bouses de vache. « Je cherchais un moyen de réduire l’emprunte carbone de ma famille, explique-t-il. Un ami qui vit aux Etats-Unis m’a offert ce digesteur. » Et, depuis, il ne jette plus rien ou si peu.
Grâce à ce procédé qui s’appelle la méthanisation, épluchures, légumes ou fruits avariés, huile de friture et restes des repas du quotidien viennent « nourrir » le système dans lequel des bactéries transforment les aliments en énergie. Et plus il fait chaud, plus elles se développent. « Avec 2 kg de déchets, on peut utiliser 2 heures de gaz par jour », précise-t-il.
« Valoriser » les ordures ménagères
Pour installer ce dispositif, M. Thiome a fait appel à Pape Assane Ndao, un ingénieur qui dirige Methanizer Afrique, petite structure aux grandes ambitions. Justement, ce midi-là, le trentenaire à la timidité aussi imposante que sa carrure est venu inspecter la machine : il y a quelques mois, elle a eu un petit souci « d’indigestion » : « Les parents avaient délégué la tâche d’alimenter l’appareil aux enfants qui y mettaient n’importe quoi, raconte-t-il. Ce n’était pas grand-chose, un méthaniseur domestique a 20 ans de durée de vie. »
Depuis sept ans, Pape Assane Ndao quadrille avec son équipe de trois personnes le Sénégal, surtout en zone rurale, pour vendre ces appareils qui viennent d’Europe. « En ville, on préfère toujours les bouteilles de gaz », souffle-t-il. L’homme au polo blanc croit en la vertu des digesteurs, prêche leur qualité avec une conviction déroutante. Depuis l’enfance, il se sent concerné par les questions environnementales et notamment celles qui portent sur l’énergie.
Diplômé en électromécanique, c’est en France qu’il s’est formé à la méthanisation. « Il y a plus de dix ans, j’avais fabriqué un digesteur avec des éléments récupérés ici et là. Il marchait bien », se rappelle-t-il. En 2017, il honore sa première commande. Aujourd’hui, il en installe une cinquantaine par an aux quatre coins du Sénégal. « Il existe une dizaine d’entreprises sénégalaises dans notre secteur », constate-t-il.
Pape Assane Ndao souhaiterait changer « les habitudes de cuisson » des Sénégalais. Pour y arriver, il cherche à « valoriser » les ordures ménagères qui ont atteint 658 933 tonnes en 2020 dans la région de Dakar (quelque 170 kg par habitant). « Lorsque je regarde une poubelle remplie de nourriture, je me dis que c’est du gaz gaspillé, lâche-t-il. On perd de l’énergie quand on ne la crée pas. » Son rêve est que chaque famille soit autonome en gaz de cuisson. « Je ne veux plus qu’on utilise du charbon ou du bois de chauffe, c’est source de déforestation et ce n’est pas bon pour la santé », souligne l’ingénieur.
« Le biogaz est plus calorifique »
L’immense obstacle reste surtout le prix. Un digesteur coûte au moins 400 000 francs CFA (environ 600 euros), soit plus de six fois le salaire minimum sénégalais, mais « à long terme, c’est très rentable », insiste Pape Assane Ndao. « Comme le biogaz est plus calorifique, il dégage plus de chaleur et, par conséquent, la cuisson d’un plat est plus rapide », assure-t-il. « Et on dépense moins d’argent, ajoute Cheikhou Thiome. Et en cette période d’inflation [+9,4 % en février 2023], ça me soulage. »
Avant de posséder un méthaniseur domestique, le professeur d’anglais achetait deux bouteilles de gaz de 12 kg par mois (6 680 francs CFA l’unité), « désormais, j’en utilise une tous les six mois », explique-t-il. Ainsi, en trois ans, M. Thiome a économisé près de 440 000 francs CFA, soit le prix d’un digesteur. Et, avec cet argent, il peut continuer à payer les travaux de sa maison.
Quinze kilomètres plus au sud, Pape Assane Ndao se rend dans un foyer pour jeunes à Popenguine, petite station balnéaire. Tout près de la piscine, dans un coin de l’établissement qui peut accueillir 80 enfants, il a installé en 2022 un immense digesteur pour le prix d’1,5 million de francs CFA (environ 2 300 euros). Seulement, l’appareil n’a pas pu être raccordé directement à la cuisine. Le gaz est donc transporté dans des sacs qui peuvent être branchés aux plaques de cuisson, mais la totalité d’entre eux sont percés et Pape Assane Ndao ne peut rien faire d’autre que de conseiller d’en racheter d’autres.
Autre limite à son utilisation : « Le digesteur est plein de gaz et il n’y a personne pour le récupérer, regrette Alassane Diagne, 34 ans, le coordinateur du centre. Nous n’avons pas encore ce réflexe. » Mais le plus important n’est pas là selon lui : « Nous voulions réduire nos déchets et prouver à la localité que c’était possible. Nous souhaitons inciter d’autres personnes à se procurer un méthaniseur pour que les ordures disparaissent de notre espace commun. Le digesteur nous permet de sensibiliser nos jeunes sur la question de l’environnement, des tris et des énergies renouvelables. »
Alassane Diagne a un autre projet pour son digesteur : le démonter pour l’installer sur une terre agricole qu’il ambitionne d’acquérir. En effet, l’appareil produit également de l’engrais liquide naturel, idéal pour les cultures. « La méthanisation est encore mal connue au Sénégal et dans le reste de l’Afrique, explique Pape Assane Ndao. Il n’y a pas d’école de formation à cette technologie. »
En décembre 2009, l’Etat sénégalais a lancé le programme national de biogaz domestique avec comme objectif d’implanter 8 000 digesteurs en trois ans. En 2021, 2 309 méthaniseurs avaient été installés à travers le pays.
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