Investir au Cameroun : En février 2022, la Banque mondiale a publié un livre intitulé Africa in the new trade environment : market access in troubled times. Pourquoi cette publication maintenant ?
Albert Zeufack : L’idée de ce livre nous est venue de trois chiffres qui nous ont perturbés. Le premier chiffre, c’est que depuis plus de 60 ans, l’Afrique contribue seulement pour 3% au commerce mondial. En dépit de tous les efforts et de toute l’augmentation de la production, elle n’arrive pas à dépasser ce seuil. Ce qui veut dire, en fait, que la valeur de nos exportations est restée faible, même si elles augmentent en volume.
Les deuxième et troisième chiffres plus troublants encore, c’est que l’Afrique ne représente que 2% des exportations mondiales et 1% des exportations des produits manufacturés. En fait, lorsque l’Afrique participe au commerce mondial, elle importe tout ce qui a de la valeur et exporte ce qui a très peu de valeur. Voilà pourquoi nous avons nos déficits des balances commerciales. En fait, le commerce international, finalement, ne nous sert pas. Voilà pourquoi la pauvreté ne recule pas suffisamment. On a encore un taux de pauvreté de 40% en moyenne en Afrique. Ça reste extrêmement élevé, alors que certains pays d’Asie du Sud-Est, qui ont accédé à l’indépendance au même moment que l’Afrique, ont aujourd’hui complètement éradiqué la pauvreté.
Partant de ces chiffres, qui sont préoccupants, nous nous sommes demandé qu’est-ce l’Afrique peut faire pour commander une part plus importante du commerce international. Que peut faire l’Afrique pour, en fait, bénéficier davantage du commerce international ? Que peut faire l’Afrique pour transformer sa participation au commerce mondial en un vecteur de croissance, un vecteur de réduction de la pauvreté ? Et c’est ce que ce livre se permet de traiter.
IC : Et à votre avis, que doit faire l’Afrique pour mieux tirer profit du commerce international ?
AZ : Ce livre propose quatre solutions. La première, c’est que la politique commerciale des pays africains doit changer, et surtout prendre en compte les changements de l’environnement du commerce international. Et ces changements incluent des chocs exogènes comme le Covid-19, qui ont amené à un arrêt brutal dans les chaînes de valeur et logistiques ; de même que des chocs comme la montée du protectionnisme dans les marchés traditionnels. On a vu des élans protectionnistes aux États-Unis, dans certains pays d’Europe et même en Asie, sur l’accès de nos produits. En plus, il y a des défis qui arrivent comme la quatrième révolution industrielle qui, pour certains pays, amène à une déstabilisation du tissu productif et une relocalisation de certaines industries qui auraient pu peut-être s’implanter en Afrique. Il s’agit -là des défis qu’on doit prendre en compte lorsqu’on veut augmenter notre part dans le commerce mondial.
Deuxième chose, nous proposons une réévaluation des accords commerciaux que l’Afrique a signés avec les différents partenaires, pour s’assurer que ces accords s’alignent sur les objectifs des pays africains actuels, qui sont la transformation économique, la défiscalisation, la création d’emplois pour la jeunesse et pour les populations.
Lorsque nous nous évaluons ces accords, les réponses sont assez mitigées. Très peu de pays africains, en fait, bénéficient pleinement de ces accords commerciaux. Et certains de ces accords ossifient en fait la structure économique africaine, en termes d’exporter des matières premières et importer les produits transformés, ce qui ne permet pas une transformation structurelle. Nous étudions en détail l’accès au marché américain, à travers l’AGOA, et il se trouve que beaucoup de pays africains n’arrivent même pas à remplir leurs quotas d’exportation vers les États-Unis. Et on observe que certains pays utilisent l’AGOA pour continuer à exporter le pétrole, qui ne génère pas beaucoup d’emplois. La raison principale de cet état des choses est le manque de structures de production, de capacités productives.
IC : Et les deux dernières solutions…
AZ : Troisième message de ce livre, c’est qu’il faut que les pays africains se positionnent stratégiquement pour capturer le marché émergent de l’Asie. Parce que la contribution de l’Asie au commerce mondial a dépassé celle de l’Europe et des États-Unis dès les années 2010. C’est-à-dire que le marché le plus important aujourd’hui est en Asie, il n’est ni en Europe ni aux États-Unis. Et c’est important que les pays africains anticipent cette évolution pour pouvoir négocier l’accès à ce marché parce qu’il n’est pas donné sur un plateau.
La dernière suggestion que nous faisons, c’est de saisir l’opportunité de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), pour s’assurer que l’on développe des chaînes de valeur régionales, qu’on développe ces chaînes de valeur qui peuvent être un tremplin vers le marché international, vers les chaînes de valeur globales. Mais, plus encore, en intensifiant le commerce intra-africain et en développant des chaînes de valeur entre pays africains, on réduira la volatilité de nos exportations. On ne sera plus sujet seulement aux avaries du marché international ou des prix du pétrole et des minerais qui fluctuent.
IC : Dans votre livre, vous recommandez d’associer les préférences commerciales unilatérales à des instruments de politiques d’aide au développement visant à résoudre les problèmes structurels qui limitent les capacités d’exportation des États. N’est-ce pas ce que l’Union européenne, qui a conclu des Accords de partenariat économique avec certains pays du continent, dit déjà faire notamment avec le Fonds européen de développement ? Très précisément, que souhaitiez-vous qu’on fasse ?
AZ : C’est une excellente question. Ce que nous sommes en train de suggérer c’est que l’on oriente l’aide vers le développement des capacités productives des pays africains pour permettre la diversification de leurs exportations et non pour les encourager à exporter les mêmes matières premières. Et là, il y a une différence…
IC : Et qu’est-ce qu’on pourrait faire très concrètement ?
AZ : Ce que l’on pourrait faire c’est justement de mieux négocier l’accès à ces marchés traditionnels européens et américains, pour y déverser nos exportations de produits transformés plutôt qu’exporter des grumes de bois ou des fèves de cacao. Peut-on négocier l’accès à ces marchés traditionnels pour les exportations plus diversifiées ? Si c’est oui, alors comment utiliser ces mêmes accords pour acquérir les capacités technologiques pour produire ces matières transformées ?
Je prends un exemple simple : le cacao. La Côte d’Ivoire et le Ghana produisent 60% de tout le cacao mondial. La chaîne de valeur du cacao c’est plus de 60 milliards de dollars et ces 2 pays n’en tirent que 6 milliards. Le reste est dans les chaînes suivantes où on ajoute de la valeur. Ces deux pays viennent de s’entendre pour pouvoir commencer à faire une première transformation du cacao avant de l’exporter.
Peut-on travailler avec des partenaires pour s’assurer que l’on ait toutes les technologies qui sont nécessaires pour ajouter la valeur à ce cacao avant de l’exporter ? Peut-on travailler avec les partenaires pour avoir accès à leur marché ? Des partenaires européens, américains, ou asiatiques pour s’assurer que ce beurre et ce lait de cacao qui va être produit soient vendus sur leurs marchés. Voilà ce que nous proposons.
IC : On le voit, pour diversifier leurs exportations et les rendre compétitives sur le marché international, les pays africains doivent investir dans l’acquisition des technologies, la formation des ressources humaines, dans les infrastructures notamment énergétiques et de transport… Et c’est là que certains perçoivent comme une contradiction dans les conseils de la Banque mondiale qui demande, par ailleurs, aux États du continent de réduire le déficit budgétaire pour maitriser l’endettement. Où va-t-on prendre l’argent ?
AZ : Je crois que l’investissement est critique. Et le plus important c’est de se dire qu’aujourd’hui, quand on dit investissement, on n’a pas besoin nécessairement de creuser les déficits. Parce qu’on peut créer un environnement qui apporte l’investissement direct étranger, complémentaire à l’investissement public.
Quand les pays asiatiques étaient sur leur phase croissante, ils faisaient 30% du PIB d’investissements par an. Dans ces 30%, l’investissement public était au maximum de 10% et le reste c’était des investissements privés. On n’a donc pas nécessairement besoin de creuser les déficits pour augmenter les taux d’investissement jusqu’au niveau de 25% ou plus.
Il n’y a pas de contradiction. Si on veut investir, on peut le faire et garder son équilibre macro-économique. Il faut simplement créer l’environnement, le cadre… Et c’est là où les réformes pour améliorer le climat des affaires et des investissements sont essentielles. Si on élimine la corruption, si on crée un environnement où les investisseurs sont contents de venir mettre leur argent parce qu’ils savent que ça va rapporter beaucoup plus, c’est l’essentiel. Et c’est ce qu’on retrouve dans ces économies asiatiques qui ont réussi.
IC : À vous écouter, les réformes sont très importantes. La Banque mondiale travaille justement sur cette problématique. Vous avez par exemple accompagné le Cameroun dans la mise en œuvre des réformes visant à améliorer le climat des affaires ou la fourniture de l’électricité. Mais ça semble insuffisant. Qu’est-ce qu’il faut de plus ?
AZ : Il y a des pays en Afrique où on voit les réformes avancer. Il y a d’autres, par contre, où il y a effectivement moins de progrès. Et la question c’est pourquoi ? Alors, moi je vous dirai que les institutions comme la Banque mondiale ne sont là que pour accompagner les gouvernements. Une façon de dire que l’effort de réforme ne peut pas être porté par les institutions internationales. Elles ne peuvent donc pas être blâmées si jamais les choses n’avancent pas. Parce que, fondamentalement, les décisions sont prises par les pays et la performance économique ne peut pas être dictée par les experts ou dictée par des institutions étrangères. Elle est endogène. La performance, pour être soutenable, doit être générée de façon endogène. Et j’ai coutume de dire que les institutions étrangères ne peuvent pas développer un pays, mais elles peuvent accompagner un pays qui veut se développer.
SOURCE : INVESTIR AU CAMEROUN
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