Une opération qui devrait établir la collaboration entre sa filiale camerounaise, SABC et Guinness Cameroun du groupe DIAGEO. Cette opération dont l’annonce a fait l’effet d’une secousse sismique, mérite d’être scrutée de plus près au regard de ses enjeux dans un contexte de crise économique globale et de raréfaction de l’investissement privé dont le Cameroun a tant besoin pour créer de la valeur ajoutée et renverser la tendance baissière de la croissance.
De prime abord, l’escarcelle de CASTEL qui s’enrichit de Guinness-Cameroun confine au renforcement d’un géant qui domine déjà son secteur d’activité avec près de 80% du marché de la bière et des boissons gazeuses au Cameroun. Cette perception qui est réelle n’est que la partie congrue et visible d’un changement systémique dont les enjeux sont d’au moins trois dimensions qui se renforcent mutuellement.
La première dimension est essentiellement socio-économique.
Fleuron de l’industrie camerounaise, la SABC est le premier contribuable du Cameroun avec 350 milliards d’impôts et taxes payés à l’Etat, premier employeur du secteur privé avec près de 4000 emplois directs, premier investisseur privé avec environ 65 milliards de F CFA d’investissement au cours des 5 dernières années. Au-delà des 300 milliards de F CFA engrangés par DIAGEO, maison mère de Guinness, cette acquisition s’accompagne d’un projet d’augmentation de capacité de production de SABC pour accompagner la croissance de GUINNESS au Cameroun, apprend-on dans le communiqué de presse annonçant le deal. Selon une source proche de l’opération, cette augmentation des capacités sera conduite par un plan d’investissement de 30 milliards de F CFA. Bien plus, non seulement les 400 emplois de Guinness-Cameroun seront préservés mais le renforcement des capacités de production et de distribution va induire un accroissement des effectifs et partant la création de nouvelles opportunités d’emplois pour les camerounais.
Par ailleurs, faut-il le rappeler, la consolidation de la position de la SABC arrive à un moment où le marché camerounais de la bière et des boissons gazeuses vient de s’enrichir d’une nouvelle entreprise brassicole en l’occurrence la Société Brasseries Samuel Foyou (BRASAF) dont les activités ont été officiellement lancées le 30 juin dernier à Douala. Cette concomitance augure d’un marché davantage dynamique où la saine concurrence va créer de l’émulation et la recherche effrénée de la qualité au grand bonheur du consommateur qui en dernier ressort est le maitre du jeu sur un marché où les prix sont règlementés et soumis au contrôle strict de l’autorité en charge du commerce
La seconde dimension des enjeux de l’acquisition de Guinness-Cameroun par CASTEL est d’ordre stratégique, apanage du marché des capitaux et des entreprises transnationales. Cette opération ne résulte pas d’un acte de prédation encore appelé sous d’autres cieux « Offre Publique d’Achat (OPA) sauvage » qui consiste à faire main basse sur un concurrent à travers une surestimation de la valeur en bourse de l’action de la « proie » visée. Faut-il le rappeler, DIAGEO la maison mère de Guinness, est la plus importante entreprise mondiale sur le marché des alcools et spiritueux avec une capitalisation boursière de 99 milliards d’Euros soit 64.944 milliards de F CFA et un Chiffre d’Affaires de 15 milliards d’Euros (environ 10.000 milliards de F CFA) en 2020. C’est dire qu’avec ses 6 milliards d’Euros de Chiffre d’Affaires, Castel est d’un cran en dessous de de DIAGEO. Mais le deal au Cameroun est stratégiquement gagnant pour les deux partenaires. Dans le communiqué de presse annonçant l’opération de rachat, M. Dayalan Nayager, président de DIAGEO Africa, a commenté la nouvelle en ces termes : « Au vu des fortes performances de Guinness, ses besoins dépassent les capacités de sa brasserie actuelle de Douala. Grâce à ce nouvel accord, la marque bénéficiera de capacités de production et de distribution accrues. Elle continuera à faire partie de la famille Guinness au niveau mondial grâce à une supervision directe du marketing. Nous souhaitons que cet accord avec Castel permette de libérer encore plus son potentiel, tout en préservant l’inimitable goût Guinness à travers le Cameroun ». Aurait-on pu être plus explicite ? Avec une capacité de production en bières de 1,4 millions d’hectolitres (seulement serait-on tenté de dire), DIAGEO s’appuiera non seulement sur les 10 millions d’hectolitres de la SABC mais également sur les perspectives d’investissement et de renforcement de ces capacités pour faire le saut de plafond dont Guinness a besoin au Cameroun. Comme disent les anglosaxons, c’est du win-win, y compris pour tous les partenaires sociaux dont l’Etat du Cameroun qui engrangera plus de recettes fiscales, la masse salariale qui va s’accroitre, les actionnaires notamment la SNI (Société Nationale d’Investissement) et les petits porteurs camerounais qui détiennent 15,6% du capital de la SABC, et la masse des sous-traitants, PME camerounaises, qui seront tirés par une locomotive encore plus puissante. C’est dire que le rachat de Guinness-Cameroun augure de l’accroissement de la valeur ajoutée dans le secteur industriel le plus dynamique et porteur de croissance au Cameroun.
La troisième dimension des enjeux est essentiellement liée à l’image du Cameroun, ce qui en rajoute à la portée de l’opération. Dès le lendemain de l’annonce de l’opération, toutes les grandes agences spécialisées et les sites d’information économique et financière du monde notamment Reuters et Bloomberg, en ont fait écho. Parce qu’il s’agit après tout de DIAGEO dont le rayonnement mondial est connu et Castel un des premiers producteurs de vins français au monde. Une telle actualité change le regard porté sur le Cameroun dont l’image est quelque peu brouillée par le conflit dans le NOSO et les attaques de Boko Haram dans l’Extrême Nord. Malgré tout, on peut y faire des affaires, et de bonnes. Y’a-t-il meilleur indicateur pour attirer les investisseurs qui ont besoin d’être rassurés ? Dans un contexte marqué essentiellement par les affres de la pandémie du Covid-19 exacerbées par les conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un contexte caractérisé par la sinistrose de l’information économique et financière, une opération d’investissement d’envergure portée par le secteur privé est suffisamment singulière et porteuse d’espoir pour qu’on s’y attarde.
Source : EcoMatin
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