Le Bénin se voyait déjà en « une » des catalogues touristiques. Si l’enlèvement de deux Français dans le parc de la Pendjari le 1er mai met un coup de frein aux velléités de décollage de ce secteur, dans l’immédiat au moins, il braque aussi les projecteurs sur ce levier de développement qu’est le tourisme. Encore largement en friche sur le continent, il reste pourtant une formidable opportunité économique, potentiellement pourvoyeuse d’emplois.
« Sans rien faire, on a 200 000 personnes… Imaginez qu’avec un peu d’effort on peut doubler ce chiffre-là. » Prononcés en 2017 par José Pliya, le directeur de l’Agence nationale pour le tourisme du Bénin, ces mots posaient le point de départ de ce qu’il imaginait devenir une courbe vertigineuse. « Notre objectif d’ici à la fin du quinquennat [du président Patrice Talon qui se termine en 2021] est d’atteindre les 700 000 touristes », poursuivait ainsi le directeur, interrogé alors par l’Agence France-Presse. Et pour y parvenir, le Bénin avait même prévu d’investir 600 milliards de francs CFA, soit plus de 900 millions d’euros.
33 milliards d’euros pour le continent
L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) estime qu’en 2017, 63 millions de personnes, en augmentation de plus de 8 % par rapport à 2016, ont effectué un séjour touristique en Afrique. Ce qui a fait entrer 33 milliards d’euros sur le continent. Une faible part des 1 300 milliards de dollars (1 164 milliards d’euros) de dépenses touristiques mondiales, mais un bon début.
Les apports du tourisme sont multiples : outre la manne financière, c’est une source d’emplois. En 2014, au Bénin, ce secteur employait 48 000 personnes, soit 2,20 % de l’emploi selon l’organisme Tourism Data of Africa. Un taux toutefois faible en comparaison de certains pays qui, eux, jouent de longue date la carte du tourisme. Ainsi, au Cap-Vert, le secteur emploie directement 14 % de la population en âge de travailler et fournit 41,90 % des emplois indirects. Le Cap-Vert est l’exemple type du pays qui a réussi à développer son secteur touristique. Alors qu’en 1990, celui-ci n’y représentait que 4,30 % du PIB, il est aujourd’hui à l’origine de 9,60 % de la richesse nationale avec 1,37 million de visiteurs en 2017, selon la Banque mondiale.
Autre élément clé : l’investissement dans le secteur contribuerait à améliorer la sécurité régionale. Economiste à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) qui a publié un rapport sur le tourisme africain en 2017, Milasoa Chérel-Robson reste persuadée du lien entre tourisme et paix . « Nos analyses montrent que plus on donne d’importance au secteur touristique – sur le long terme bien entendu, il ne s’agit pas d’effet immédiat –, plus la paix s’installe et les possibilités de travail pour les jeunes sont nombreuses. En contrepoint, l’attirance pour des groupes radicaux diminue », explique-t-elle. Or la création d’emplois pour la jeunesse est un « défi pour le continent » : celui-ci comptera en effet 300 millions de jeunes de 15 et 24 ans en 2050, d’après les prévisions du Cnuced.
Le Maroc, pays numéro 1 du tourisme en Afrique
Si elle est redoutée, la décrue du tourisme au Bénin n’est pas inéluctable. Certains pays ont réussi à maintenir leur essor touristique en dépit des attaques terroristes. Ainsi, bien que touché le 15 janvier par une attaque contre un complexe hôtelier à Nairobi qui a fait 21 morts, le Kenya continue d’afficher de bons chiffres. Depuis les années 2000, le pays accueille chaque année plus d’un million de touristes, qui concourent à hauteur de 11 % à la richesse nationale. Pour l’économiste de la Cnuced, le Kenya serait même « l’un des pays les plus développés en termes d’offre et de savoir-faire en matière de tourisme. Les acteurs du secteur sont très bien organisés, capables de dialoguer avec les autorités publiques, de se faire entendre. Ensemble, ils représentent un acteur important de l’économie nationale ».
La région de l’Afrique de l’Est dans son ensemble affiche une très bonne activité touristique. En 2017, l’Ethiopie accueillait 933 000 touristes selon la Banque mondiale, lui permettant d’engranger un bénéfice de 2,5 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros).
Avant même d’en arriver à ces records, le tourisme oblige les pays à des aménagements porteurs. Ruben Nizard, économiste spécialiste de l’Afrique à la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface), rappelle que, pour développer le tourisme, un pays doit « améliorer les infrastructures afin, notamment, d’améliorer la connectivité ». Ainsi, l’Afrique du Sud, pays connaissant la plus grande affluence touristique (9 millions de visiteurs en 2015) en Afrique subsaharienne, a également le plus haut taux de connexion (52 % de ses habitants). Le Maroc, pays numéro 1 du tourisme sur tout le continent avec 11,35 millions de visites en 2017, dispose lui aussi d’un réseau permettant à 57 % des habitants d’avoir accès à Internet. « Le Kenya a également compris l’importance des TIC [Technologies de l’information et de la communication] et a misé dessus en mettant en place des incubateurs », ajoute Milasoa Chérel-Robson.
Un tourisme interrégional
Si le tourisme sert au développement global de l’économie des pays africains, il permet parfois une amélioration sensible de secteurs inattendus comme les infrastructures de santé. Ainsi, le tourisme médical est en train de devenir important pour les leaders du secteur africain comme l’île Maurice, l’Afrique du Sud, l’Egypte, la Tunisie, le Kenya et surtout le Maroc, qui accueille chaque année 10 000 personnes venant de nombreux pays du continent. Surfant sur cette tendance, le royaume a même mis en œuvre des mesures d’incitation fiscale afin d’attirer des investisseurs et de stimuler plus encore ce tourisme particulier.
Plus globalement, le Maroc a d’ailleurs su utiliser le tourisme pour diversifier son économie. Le nombre de touristes n’a cessé de grimper au point que les revenus marocains liés au tourisme atteignent 9 milliards de dollars (8 milliards d’euros).
Le tourisme interrégional est aussi un secteur qui a le vent en poupe, observe Milasoa Chérel-Robson. Même s’il n’a pour l’instant été ratifié que par vingt-deux pays, la zone de libre-échange continentale (ZLECA) entre en vigueur cette année et vise à éliminer au moins 90 % des barrières tarifaires sur les marchandises importées en provenance d’autres Etats. Et la libéralisation du commerce des services pourrait aider à franchir une étape supplémentaire. Il faudra toutefois du temps : pour Ruben Nizard, un véritable essor du tourisme interrégional nécessite avant tout « l’émergence d’une classe moyenne ».
Enfin, un obstacle demeure pour le développement du tourisme intercontinental : la mauvaise perception de l’Afrique en terme sécuritaire et sanitaire. « Quand on voit qu’en 2014, l’institut touristique du Botswana imputait une performance mitigée de son secteur touristique au virus Ebola alors même que le pays était loin du centre de l’épidémie, on peut effectivement penser qu’il y a encore aujourd’hui dans l’imaginaire du public un cap à passer », avance M. Nizard.
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