La bataille entre les grands groupes et les start-up lancés dans ce domaine a été très difficile ces dernières années. Il y’a quelques mois après l’ entrée fracassante de Jumia à la bourse de New York, le leader de la vente en ligne en Afrique affronte des vents contraires et doit plus que jamais, convaincre les investisseurs de son potentiel.
« Nous nous attendions à avoir des hauts et des bas. Mais c’est sûr que, là, les choses vont vite », reconnaît Sacha Poignonnec, cofondateur avec Jérémy Hodara de Jumia, leader du e-commerce africain, présent dans 14 pays. Cinq mois après des débuts en fanfare à la Bourse de New York, l’action de l’entreprise a perdu 24 % de sa valeur et se négocie autour de 11 dollars. Pour le jeune DG, l’heure est donc plus à la pédagogie qu’à l’euphorie. »
Les observateurs n’ont pas fini de commenter le retrait du géant Jumia au Cameroun par exemple. Le principal e-commerçant du continent a suspendu pour une durée indéterminée son site de vente en ligne dans ce pays, qui était pourtant annoncé comme très prometteur.
La direction évoque les difficultés inhérentes au « contexte particulier » du pays. Il y a quelques mois avant, c’était l’emblématique Afrimarket, concentré sur le cash to good, qui baissait le rideau alors que de belles avancées ont été observés ici et là.
Pourquoi le e-commerce en Afrique n’a pas encore réussi à mettre en place un écosystème lui permettant d’exploiter toutes ses potentialités ?
L’Afrique attire toujours la convoitise de tous les grands groupes mondiaux. D’un côté, les Gafa américains (Google, Amazon, Facebook, Apple), de l’autre, les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), encore plus dynamiques au milieu d’autres plateformes de commerce.
Concrètement sur le terrain, en octobre 2018, le géant chinois Alibaba a pris de l’avance. Son fondateur Jack Ma a effectué plusieurs tournées en Afrique, y a lancé des programmes et des concours pour les jeunes entrepreneurs et a choisi d’implanter sa première plateforme d’e-commerce à Kigali, au Rwanda. Dénommée EWTP, ou « Electronic World Trade Platform », dont l’objectif est de favoriser un environnement politique et commercial plus efficace, et à terme permettre aux petites et moyennes entreprises (PME) de participer au commerce électronique transfrontalier. Mais jusque-là, le e-commerce en Afrique peine toujours à prendre son envol malgré tous ses potentiels et opportunités infinis du marché.
Pourquoi tant de freins ?
Le faible accès à Internet, la prédominance des paiements en espèces, les problèmes logistiques, la fracture numérique, les cadres réglementaires et institutionnels inadéquats, les consommateurs pas totalement avertis…
Tous ces obstacles ne manquent pas pour les opérateurs du e-commerce en Afrique. Et pourtant, start-up, entrepreneurs, géants de la distribution en sont convaincus : de la même manière que la téléphonie mobile a bouleversé le marché des télécommunications, et le commerce électronique pourrait changer la donne rapidement. Une condition, quand même : tenir compte de la réalité et s’adapter.
Qu’en est-il au niveau du marketing digital ?
Il est central pour une plateforme d’e-commerce et remplit deux fonctions-clés. La première est d’attirer des visiteurs sur la plateforme, la deuxième, de convertir ces visiteurs en clients. Une des premières difficultés est que la pénétration internet est faible (20 %). Le marketing se concentre donc très majoritairement sur les canaux internet. La publicité sur mobile est bien acceptée par les utilisateurs. Les leviers classiques d’acquisition d’audience digitale sont donc globalement bien accueillis par les utilisateurs mobiles africains. Les leviers de marketing digital (SEO, SEM, display…) sont généralement combinés de façon opportuniste dans chaque pays en fonction des coûts d’acquisition. L’acquisition d’audience via les réseaux sociaux, Facebook notamment, est par exemple un levier efficace en Égypte ou au Sénégal, mais l’est beaucoup moins au Nigeria. Cependant, le e-commerce en Afrique a un enjeu fort autour de la data mobile.
Pour se développer, les plateformes d’e-commerce ont besoin de pouvoir élargir au maximum leur audience et de donner le moyen aux utilisateurs de prolonger leur temps moyen de visite. L’enjeu est donc celui de la réduction du coût de la data mobile nécessaire associé au temps passé sur le site. Il est probable qu’on assiste à une augmentation des pratiques de subvention de cet accès data, que celui-ci soit in fine offert par l’acteur e-commerce ou par l’opérateur. MTN et Jumia ont déjà lancé une telle initiative au Nigeria entre août 2015 et janvier 2016 en ne décomptant pas la data consommée pour accéder au site de Jumia, comme expliqué précédemment. Jumia, de par ses relations proches avec MTN, Tigo et Orange, est en position de répliquer l’initiative dans de nombreux pays. Ces pratiques de couplage des accès Internet et du service d’e-commerce sont bien entendu soumises aux problématiques de neutralité du Net, d’une part, et d’équité concurrentielle, d’autre part. Leur futur dépendra donc également des orientations qui seront prises par les régulateurs et autorités de la concurrence. Ces orientations définiront les modèles de monétisation de la data et impacteront non seulement les acteurs de l’e-commerce, mais aussi l’ensemble des acteurs de l’Internet. L’importance de l’audience générée par les e-commerçants leur donnera un poids de taille dans ces discussions. Quelle qu’en soit l’issue, l’ensemble des acteurs économiques ont intérêt à trouver des modèles fournissant à l’utilisateur un accès à coût réduit, condition nécessaire à un développement accéléré du volume de transaction e-commerce.
Le paiement ?
Qu’il soit à la livraison ou au moment du passage de la commande sur Internet, le moyen de paiement reste une étape-clé dans le processus d’achat d’une plateforme d’e-commerce. Le paiement peut être un frein à l’achat à cause du manque de confiance, mais aussi du faible taux de bancarisation en Afrique. En effet, selon l’étude sur les classes moyennes CFAO réalisée par Ipsos et BearingPoint, seuls 15 à 20 % de la population possèdent un compte bancaire. La carte bancaire est donc loin d’être un moyen de paiement universel. Les plateformes d’e-commerce ont dû s’adapter et proposent un large éventail de méthodes de paiement. Une solution réside notamment dans l’utilisation des services de paiement mobile largement proposés par les opérateurs mobiles.
Les méthodes les plus utilisées sont le paiement en espèces à la livraison et le paiement dans une e-boutique ou un showroom. Sans surprise, ces méthodes sont également celles apportant le plus de confiance aux clients. Le paiement en cash lors de la livraison représente fréquemment plus de 90 % des commandes.
La logistique ?
La logistique est confrontée à une double problématique à savoir l’importation des marchandises et de la distribution jusqu’au client final. Il faut d’abord importer les produits, dont la plupart nous viennent des quatre coins du monde dominé par l’Europe et l’Asie. L’importation rencontre des complexités additionnelles liées notamment aux douanes et aux taxes. Il faut ensuite livrer les colis aux domiciles des clients dans des pays où l’infrastructure routière ainsi que le système postal qui est quasi inexistant voir limité.
La livraison jusqu’au point final est compliquée en Afrique pour plusieurs raisons : le nombre encore faible de sociétés spécialisées dans le transport et la logistique qui reste encore peu performant pour manque d’infrastructures de matériaux adéquats pour faire le job et peu d’agents formés, pour finir avec un réseau routier en mauvais état.
Contrairement aux pays occidentaux, il existe peu de sous-traitants capables d’effectuer des livraisons pour les plateformes de l’e-commerce. Celles-ci sont obligées de développer leur propre réseau de distribution dans les pays où elles s’implantent, à l’image d’AIG Express, désormais rebaptisé JumiaServices, pour Jumia, même si certains partenariats sont déjà à l’œuvre, par exemple la possibilité de travailler avec des associés pour les livraisons en dehors des grandes villes. Enfin, même avec le réseau de distributeurs et l’adresse exacte se dresse un dernier obstacle : la qualité du réseau routier. La Banque africaine de développement estime que 60 % de la population vit à plus de 2 kilomètres d’une piste bitumée. AIG Express utilise notamment des coursiers à moto pour contourner ce problème de réseau routier.
La cohabitation avec le commerce traditionnel
L’e-commerce s’implante en Afrique dans un marché marqué par la dominance du marché informel, traditionnel. Or, l’e-commerce est très complémentaire du commerce formel physique. Le développement du commerce formel physique est de ce fait corrélé avec celui de l’e-commerce. Au-delà de cette corrélation naturelle, l’e-commerce va également permettre de développer des canaux d’approvisionnement et/ou de distribution et ainsi favoriser l’implantation de commerces physiques : centres commerciaux, supermarchés, soit via de nouveaux acteurs utilisant ces canaux, soit par des acteurs déjà présents en Europe. La pénétration de l’e-commerce au sein de la population va également avoir pour conséquence de changer les habitudes d’achat des consommateurs en les familiarisant aux bénéfices de circuits plus formels. Le référentiel de qualité va également évoluer avec les produits de l’e-commerce et c’est toute la culture de l’achat qui risque d’être petit à petit modifiée via l’e-commerce.
La faiblesse des infrastructures logistiques reste le principal point de difficulté, comme nous avons eu l’occasion de l’évoquer précédemment. Le développement des flux d’approvisionnements et d’imports internationaux va bénéficier globalement à l’ensemble du commerce du pays.
L’enjeu fort dans le développement des services
L’e-commerce devrait par ailleurs être un vecteur de développement majeur des services permettant de livrer le client à son domicile : la logistique du dernier kilomètre. Ce développement s’effectuera sous l’impulsion directe de grands groupes internationaux comme le fait AIG au travers de sa filiale AIG Express. Il s’effectuera également via la création d’une multitude de sociétés locales fournissant cette logistique du dernier kilomètre, en réponse à la demande de nombreux e-commerçants. Le cercle vertueux renforçant la qualité des infrastructures locales devrait être ainsi être amorcé.
Quel est évolution à attendre au cœur du e-commerce?
L’e-commerce dans les pays africains vient en premier lieu répondre à un déficit de la mise à disposition de produits par rapport à la demande. Il est donc aujourd’hui centré sur des biens de consommation courante et sur des produits difficiles à trouver tels que les produits high-techs. Il y a fort à parier qu’il ne s’agit que d’une première étape de l’e-commerce qui va progressivement s’élargir à un e-commerce proposant non seulement des produits, mais également une multitude de services.
De même que l’e-commerce des produits pourrait griller la politesse aux grands centres commerciaux physiques en se développant beaucoup plus rapidement, l’e-commerce des services pourrait proposer des offres qui, dans de nombreux pays africains, n’ont pas encore été développées dans des agences physiques.
Le e-commerce, une réponse à un besoin des populations?
L’Afrique a historiquement toujours été un continent au cœur des échanges commerciaux, que ce soit en lien direct avec chacun des autres continents ou à la croisée des échanges entre l’Europe et l’Asie. Les grands ports par lesquels transitent le commerce maritime international et le canal de Suez continuent à jouer des rôles majeurs dans ces échanges commerciaux.
Le développement de l’e-commerce en Afrique fournit un nouveau canal de distribution de tous types de biens, locaux et internationaux. Il répond à des besoins exprimés par la population et à des enjeux majeurs pour les grands groupes internationaux. La capacité de ces derniers à distribuer leurs produits et services sur le continent africain a longtemps représenté un fort challenge. Il s’agit maintenant d’un objectif-clé. La croissance soutenue de la demande sur le continent africain va continuer à accroître cet enjeu. L’essor de l’e-commerce va ainsi contribuer à rendre à l’Afrique son statut de continent central du commerce.
Source: MBA MCI
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