Un air de lassitude, de résignation, de démission générale souffle sur le marché de l’emploi. Les recruteurs ne trouvent plus de candidats et les postulants deviennent plus exigeants. Le phénomène américain “The Great Resignation” semble s’installer dangereusement en France. Zoom sur un mouvement qui inquiète le marché de l’emploi.
38 millions d’Américains ont quitté leur travail en 2021
Juillet 2021, ce sont 4 millions d’Américains qui ont quitté leur poste selon l’étude du U.S. Bureau of Labor Statistics et 38 millions sur l’année 2021 sur 162 millions d’emplois. Instagram, TikTok livrent des images et vidéos de personnes brandissant le slogan “I did it”. Ce qu’elles revendiquent n’est plus l’embauche hardiment décrochée, le poste de rêve enfin atteint mais bien d’avoir quitté un job mal rémunéré, un manager pas à la hauteur, une entreprise dont les valeurs ne sont plus dans l’air du temps.
Au sortir des confinements successifs, cette vague de démissions s’est installée en France. Les premiers secteurs impactés sont d’abord ceux qui présentent les conditions les plus précaires : le bâtiment, la restauration, l’aide à domicile… mais pas seulement. Les recrutements deviennent de plus en plus difficiles dans tous les domaines d’activité et touchent l’ensemble des fonctions : cadre, cadre supérieur, dirigeants également.
“41 % des cadres ont songé à démissionner”
Selon les chiffres de la Banque de France, 300 000 emplois restent actuellement à pourvoir et le baromètre de l’Ifop pour Freelance.com de décembre 2021 indique que 41 % des cadres ont songé à démissionner. L’impact de la crise sanitaire s’avère certain, mais déjà en 2018, l’Insee révélait que 45 % des entreprises étaient exposées à des difficultés de recrutement. Ce qui interroge donc davantage : le contrat social entre employeur et salariés qui se délite. Preuve en est, le phénomène du ghosting qui se répand et déconcerte les recruteurs. Les candidats semblent de concert faire basculer le rapport de force de leur côté : aux entreprises de se plier à leurs conditions. Oui, mais lesquelles ?
Un marché de candidats
Déjà perceptible avant la crise sanitaire, la recherche de quête de sens au travail semble de plus en plus motiver les travailleurs. La Covid-19 fut un réel catalyseur et le constat est sans appel. Le marché de candidats se manifeste par une inflation salariale mais pas seulement. Selon une étuide de l’Institut Montaigne réalisée en février 2022 auprès des 18-24 ans, le premier critère pour choisir un poste est « le travail par passion » à 42 %. Seuls 25 % des jeunes placent le salaire en première position. L’équilibre entre vie privée et vie professionnelle semble avoir pris le dessus, incitant les entreprises à offrir davantage de flexibilité, de possibilités de mobilité mais aussi d’avantages sociaux.
La quête de sens ne représente pas qu’un enjeu individuel mais aussi collectif. Les entreprises n’ont également plus d’autres choix que de s’aligner aux valeurs RSE pour rester attracitives. “Il est important pour moi que mon entreprise véhicule des valeurs RSE de qualité. Je ne veux plus travailler pour une entreprise qui ne respecte ni ses collaborateurs ni l’environnement dans lequel nous évoluons. J’ai toujours entretenu une conscience écologique et, aujourd’hui, je ne peux plus bafouer mes principes en échange d’un bon salaire. C’est en scrollant sur LinkedIn que j’ai découvert une nouvelle génération d’entreprises : celles qui placent l’humain au cœur de leurs enjeux”, confie Julie, 29 ans, ancienne cadre dans un grand groupe du e-commerce.
“La main-d’œuvre semble ne plus offrir sa force de travail qu’à des conditions et valeurs qui font sens : écologistes, humanistes, voire républicaines”
Repenser le marché du travail
Face à la pénurie, les entreprises et l’État réagissent. Dès le mois de septembre, Jean Castex dévoilait “un plan de réduction des tensions de recrutement”. Pour suppléer la pénurie de candidats, les solutions tournées vers la formation sont de circonstance. On y trouve le dispositif Transition Collective (Transco) qui accompagne les collaborateurs dans leurs reconversions, sauvegardant ainsi la main-d’œuvre au sein des entreprises tout en évitant aux salariés de passer par la case du licenciement. “Transco est un dispositif sécurisé qui permet à un collaborateur d’évoluer d’un secteur d’activité à un autre en conservant son CDI”, témoigne Sandra Hazelart, directrice des ressources humaines chez Monoprix.
Les contrats d’apprentissage sont aussi une solution afin de pallier le manque d’effectifs et encore une fois permettre une insertion professionnelle qualifiante aux plus jeunes diplômés. Julie Lahaye, head of Talent Acquisition & HR Development France chez Saint-Gobain s’explique : “Nous pouvons ainsi anticiper les besoins de l’entreprise en matière de recrutement, transmettre en interne les compétences tout en bénéficiant des nouveaux savoir-faire des jeunes.”
Toutefois, reste la relation salarié/entreprise à reconstruire. Anthony Klotz, le professeur américain à l’origine de l’expression “The Great Resignation” confiait à CNBE Make It qu’ “il ne s’agit pas simplement de chercher un autre emploi ou de quitter son entreprise, mais bien de prendre en main son travail et sa vie personnelle en prenant une grande décision : démissionner. Nous vivons un moment d’empowerment des travailleurs qui va se poursuivre en 2022.”
La main-d’œuvre semble donc ne plus offrir sa force de travail qu’à des conditions et valeurs qui font sens : écologistes, humanistes, voire républicaines, etc. Le dialogue est de circonstance et la sonnette d’alarme est activée côté entreprises pour se mettre au diapason des valeurs RSE. Nul doute que la place des fonctions RH deviendra certainement la clé de voûte pour redorer la compétitivité des entreprises.
SOURCE : décideurs magazine
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