Le bien-être ne vient pas du jour au lendemain

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Le bien-être durable, l’état le plus rare, le plus prisé et le plus mal compris, dépend en réalité du degré de maturité auquel un homme est parvenu, maturité qu’engendrent, en partie, les dures épreuves. Le bonheur suppose une certaine instruction ou une certaine formation. Il requiert en effet un esprit suffisamment meublé. Il est lié à l’aptitude au travail, à la faculté de s’intéresser spontanément au monde extérieur. Il est également lié au goût – franchement avoué – des loisirs et de la solitude.

Le rapport entre bien-être et maturité réduit à néant la thèse de nombreux adultes qui prenant de l’âge prétendent que le bonheur est lié à la jeunesse et diminue avec les années. En fait, passé vingt ans, on peut être heureux à n’importe quel âge. Les enfants sont rarement heureux ; s’ils connaissent des éclairs de joie, le fait d’être sans défense dans un monde d’adultes enclins à leur imposer des contraintes les maintient dans un état voisin de la morosité jusqu’à ce que leur personnalité se stabilise (opération qui, d’ailleurs, ne s’achève guère avant la trentaine). ils sont généralement assombris par les doutes qui les assaillent et la confusion qui règne en eux.

Des adultes jeunes peuvent se dire heureux : c’est un mot commode pour mettre la vie privée et les états d’âme à l’abri des intrusions indiscrètes. Mais nombre d’entre eux commencent à sentir la fuite rapide du temps et s’en affolent car ils prennent conscience de l’insuffisance de leurs réalisations. Se lamentant sur leurs fautes et sur leurs choix erronés, ils font la foire et se ruent dans les réceptions qu’ils organisent fébrilement ; la personnalité a acquis assez d’expérience pour juger sainement, assez de vigueur pour aimer ; elle a acquis un peu de lumière et de courage et beaucoup de lucidité à l’égard d’elle-même. Une sorte de déclic s’est produit qui est passé inaperçu: un bien-être stable est né. Les gens malheureux s’en prennent rarement à eux-mêmes. Ils mettent en cause leur emploi, ou leur mariage, ou la médiocrité de leurs parents, ou la parcimonie du destin. La véritable raison est la désorganisation de leur vie. Incapables de donner leur pleine mesure passivement, ils attendent le miracle et dans l’intervalle ils essaient de détourner leur attention du vide et l’ennui qui est en eux. Il ne leur vient pas à l’esprit qu’ils pourraient améliorer leur sort en essayant de se reprendre et de se refaire une personnalité. La personne la plus heureuse est celle qui pense aux choses les plus intéressantes. Parallèlement, un des psychologues les plus estimés à l’heure actuelle, disait : « Plus la personnalité est riche, harmonieuse et complète, et plus elle est capable de bonheur durable en dépit de toutes les souffrances qui peuvent survenir. » Selon Aristote, « le bonheur consiste dans l’exercice de la faculté la plus élevée : l’intelligence ». « En fait, le bonheur réside dans la faculté que possède l’homme d’être lui-même. Quand un homme arrive à établir au-dedans de lui-même et dans sa famille une certaine harmonie, il parvient à la paix. En fin de compte, seules deux choses ont une importance réelle pour un homme, quel qu’il soit : l’affection et la compréhension des siens. »

Un écrivain affirmait avoir été, tous les jours de sa vie d’adulte, un homme heureux. Bien entendu il reconnaissait avoir connu des périodes de chômage où l’estomac crie famine, des moments de chagrin et de découragement ; il lui était arrivé aussi d’être malade. Mais, chaque fois, il avait pu demeurer en contact avec la partie la plus profonde de lui-même, celle où régnaient la clarté, la stabilité, le bonheur : sa conscience droite. Il est rare qu’on soit envahi par la félicité d’une façon permanente ; cependant, sur la planète, beaucoup de gens jouissent d’un bonheur fragmentaire, qui tend à devenir toujours plus grand.

Chose curieuse, le rire n’a pas de rapport, ou n’a qu’un rapport très lointain, avec le bonheur. Calme et serein, le vrai bonheur rit ou pleure rarement. Il a trop de stabilité pour avoir besoin de recourir aux exutoires de la tension intérieure. Il s’identifie avec l’effort intime pour triompher du dégoût de soi-même et affirmer sa vraie personnalité.

Les sages puisent le bonheur dans de très petites choses, mais les distraits ne trouvent de satisfaction en rien. Voici les formules qui ont opéré leur conversion : le bien-être n’est pas une joie transitoire, mais une longue et secrète maîtrise intérieure. Aiguisons notre esprit quand nous observons l’homme et la nature. Comprendre la force et la beauté incomparables qui résident en tout ce qui vit, voilà l’essence même du bonheur. Ne craignons pas de nous surmener. Soyons une force de la nature et non un ramassis fiévreux, égoïste, de maladies et de griefs. Ne remettons jamais au lendemain. Elle est source de malheur, cette fâcheuse habitude qu’ont certains de remettre à quelque lointain jour imaginaire l’acte et l’obligation de vivre. Le bien-être atteste une réussite, totale ou partielle, dans l’art de vivre. S’il est difficile d’acquérir cet art, ce n’est pas impossible. Ce n’est jamais impossible.

Source: L’Orient Le Jour

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