INTERVIEW – Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve: Comment gérer l’addiction en période de confinement ?

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Medscape édition française : Quelles sont les conséquences du confinement pour les personnes souffrant d’une addiction ? Comment réagissent-elles ?

Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve : On voit actuellement deux types de réactions. La plus alarmante, la plus inquiétante, et la plus fréquente hélas, c’est la complication : soit l’augmentation de la consommation, soit des rechutes. Mais aussi tout ce qui a un lien direct avec les addictions : violences vis-à-vis du conjoint ou de l’enfant, accidents domestiques, difficultés de concentration au travail pour les personnes qui sont en télétravail… Et, bien sûr, le manque de cannabis, de cocaïne ou d’autres produits car les personnes ne peuvent plus circuler librement. À cela s’ajoute la peur de ne pas pouvoir sortir en chercher ou celle de se faire attraper. Parmi les troubles que l’on voit aujourd’hui avec les addictions, il y a aussi l’augmentation de la dépression et de l’angoisse. Dans le cadre du manque, on peut avoir des tableaux d’angoisse massive. Les addicts peuvent également aggraver un état dépressif ou se précipiter dans un état de dépression.

L’autre aspect qui est plutôt positif, mais qui est plus rare, c’est que c’est le moment de faire un point sur sa vie, sur la relation que l’on a avec le produit en question, sur le sens que l’on donne à son existence sans le produit, sur la façon de se projeter dans l’avenir. Les addicts sont souvent des personnes qui ont très peu confiance en elles, qui se sous-estiment ou ne s’apprécient pas. Donc, ces moments où ils sont parfois seuls avec eux-mêmes ont tendance à aggraver leur état psychique, car, comme ils se disqualifient, ils consomment le produit : c’est une façon de ne pas se parler, de ne pas réaliser qu’on est avec soi-même. Le confinement peut aggraver cet aspect là, mais un addict peut aussi décider de se confronter à lui-même pendant cette période, de prendre le taureau par les cornes et réfléchir à ce qu’il est, ce qu’il fait, à ce qu’il veut faire de sa vie.

Les addicts peuvent aggraver un état dépressif ou se précipiter dans un état de dépression.

Comment accompagnez-vous les patients souffrant d’addiction dans cette période particulière ? 

Dr F. Bouvet de la Maisonneuve : Je travaille beaucoup sur la notion de créativité, sur le potentiel créatif d’une personne en psychothérapie, que cela soit en psychiatrie générale ou en addictologie. Il y a toujours une comorbidité psychiatrique avec les addictions, en particulier la dépression, qui est un peu comme une sorte de panne. On pourrait dire que les addictions sont une sorte de panne de créativité. Les addicts sont tournés vers un produit et sont donc complètement détournés de leur potentiel créatif. Sortir de l’addiction, c’est aussi une façon d’avoir accès à sa pépite intérieure, de faire émerger ce désir très fort pour éprouver une sensation forte naturelle, et non artificielle. C’est comme s’il fallait quelque chose pour déclencher une sensation forte, une réflexion ou un désir. Et ce que je vois aujourd’hui en téléconsultation, c’est que les patients qui vont bien montrent leur production. Cela peut être des nouveaux plats, un fauteuil qu’ils ont poncé, de la couture, de la peinture, des photos… Quand les personnes vont bien, elles ont du temps pour laisser libre cours à leur créativité, ce qui donne de bons résultats.

Mais un addict peut aussi décider de se confronter à lui-même pendant cette période.

L’angoisse lié au confinement entraîne-t-elle une hausse de la consommation de substances psychoactives ? Notamment de la consommation d’alcool avec la multiplication des apéros virtuels ?

Dr F. Bouvet de la Maisonneuve : Oui, car, pour les addicts, le meilleur anxiolytique, c’est le produit. Donc on assiste à une augmentation de la consommation de benzodiazépines, de tranquillisants et de produits illicites. Petit à petit, une dépendance peut s’installer. Quant à l’alcool, c’est un anxiolytique et un antidépresseur à très court terme. Mais, à moyen et à long terme, il donne l’effet tout à fait inverse. Donc, au bout de quelques semaines seulement, on peut développer une dépression et des troubles anxieux. Et, bien sûr, le confinement peut aggraver la consommation d’alcool.

Mais tous ceux qui vont avoir une consommation excessive d’alcool et multiplier les apéros virtuels durant le confinement ne deviennent pas addicts, car c’est sur un terrain de vulnérabilités précis que l’on devient addict, quand on a des facteurs de risque, des antécédents familiaux, que l’on a eu une enfance anxieuse, de la maltraitance, que l’on a été victime de violences sexuelles… L’addiction est une maladie bien précise : c’est le fait de ne pas pouvoir se passer du produit. Il va donc y avoir des personnes qui, après la période de confinement, vont retrouver une vie normale et faire toute autre chose que des apéros Skype tous les soirs.

Comment voyez-vous l’après ?

« Je ne peux pas dire ce qui va se passer dans les mois qui viennent, cela va dépendre de la façon dont on va gérer situation, considère le Dr F. Bouvet de la Maisonneuve. Ce dont je suis sûre, c’est que les psychiatres vont être débordés. On l’est déjà, mais on va avoir ensuite les conséquences du confinement, des deuils, on va aussi devoir gérer nos collègues qui sont en première ligne aujourd’hui et qui sont surmenés, angoissés, qui ont dû faire des choix éthiques absolument absurdes et horribles, un peu comme lors des derniers attentats. On devra aussi prendre en charge les personnes qui n’ont pas pu enterrer leurs proches. C’est pour toutes ces raisons que la psychiatrie doit être bien dotée. Aujourd’hui, elle est considérée comme la dernière roue du carrosse, alors que ce sont les psys qui vont devoir récupérer les maux sociaux et les dysfonctionnements liés à cette période.

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