Economie: Les Etats-Unis se disent « admiratifs des succès que l’on peut constater en Afrique » (Entretien exclusif)

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Arun Venkataraman, Secrétaire d’Etat adjoint américain au commerce pour les marchés mondiaux, a accordé une interview à Idriss Linge. Le prochain sommet Etats-Unis-Afrique se tiendra au mois de décembre 2022, et comprendra un forum d’affaires d’une journée. M. Venkataraman nous explique dans quel état d’esprit l’Amérique va recevoir l’Afrique.

Agence Ecofin : Le monde qui sort à peine de la crise du Covid-19 et de ses conséquences, fait face à une grande agitation avec la crise en Ukraine et ses impacts sur la sécurité alimentaire. En Afrique beaucoup se posent la question de savoir où en est la politique commerciale africaine des Etats-Unis en ces temps agités ?

Arun Venkataraman : C’est en effet une période de turbulences. Nous espérions tous sortir de la pandémie. Cela ne s’est pas produit aussi vite que nous l’avions espéré. En plus de cela, comme vous l’avez souligné, nous avons cette agression illégale de la Russie en Ukraine qui accroît ces perturbations de façon vraiment exponentielle. Mais notre approche de la situation est que, face à cette tourmente, un véritable partenariat avec l’Afrique devient d’autant plus important pour créer des opportunités pour les entreprises et des emplois pour les travailleurs des deux côtés de l’Atlantique. Les États-Unis, et en particulier le secteur privé américain, sont vraiment bien placés pour offrir précisément le capital et le savoir-faire technologique qui, mis ensemble, en collaboration avec des partenaires africains du secteur public et privé, contribueront à résoudre les problèmes les plus urgents de l’Afrique.

C’est la raison pour laquelle le Département américain du commerce, accompagné qu’une importante délégation inter institutions et d’une forte participation du secteur privé, y compris des investisseurs institutionnels américains, étaient la semaine dernière au Sommet des affaires États-Unis-Afrique, parrainé par le Corporate Council on Africa. C’est aussi pourquoi, comme l’a annoncé la vice-présidente à l’ouverture de cet événement, le président Biden a invité les dirigeants africains à participer en décembre prochain à un Sommet au cours duquel une journée sera consacrée au Forum des affaires États-Unis-Afrique, qui lancera une série d’initiatives pour soutenir les relations commerciales entre les deux groupes de partenaires.

AE : Lorsqu’on analyse dans le détail les chiffres sur les relations commerciales entre les Etats-Unis et l’Afrique, on a l’impression que, même si vous avez une forte présence sur le continent, certains pays sont privilégiés comparés à d’autres. Il y a une présence particulière en Afrique du Sud, qui est bien sûr un important marché financier. On note aussi des pays comme le Nigéria, l’Angola ou le Mozambique, qui sont de gros producteurs d’énergie. Est-ce qu’aujourd’hui vous redéfinissez vos objectifs en termes de partenariat ? pourrait-on voir l’Afrique Francophone gagner en importance ?

AV : Je commencerais peut-être par recadrer un peu la prémisse de cette question. Je ne considère pas les statistiques que vous citez comme suggérant de quelque manière que ce soit une priorisation ou un manque d’intérêt pour des marchés particuliers par rapport à d’autres marchés. Comme vous le savez, dans notre système, ce sont en fin de compte les entreprises qui prendront les décisions de commercer et d’investir sur ces marchés. Et donc nous ne les orientons pas d’une manière particulière. Nous appuyons leurs intérêts en se rendant à certains endroits où ils se sentent les mieux accueillis ou qui sont les plus propices à faire des affaires.

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« Dans notre système, ce sont en fin de compte les entreprises qui prendront les décisions de commercer et d’investir sur ces marchés »

Pour l’avenir, je ne pense pas que j’appellerais cela du ciblage. Ce que je dirais, c’est plutôt le contraire. Avec notre secteur privé, nous voyons des opportunités commerciales significatives dans toute l’Afrique.

« Nous ne voyons pas l’Afrique francophone, l’Afrique de l’Est, l’Afrique du Nord. Nous voyons l’Afrique dans son ensemble, et nous sommes ici pour aider les entreprises américaines à maximiser ces opportunités sur tout le continent »

Ce continent est un marché incroyablement vaste et dynamique qui a quelque chose à offrir pour chaque secteur. Et donc nous, au gouvernement américain, sommes ici pour soutenir nos entreprises, afin qu’elles puissent profiter de chaque opportunité commerciale dans chaque secteur. Cela signifie donc que nous devons être en mesure de les soutenir sur tout le continent. Ainsi, lorsque nous regardons l’Afrique, nous ne voyons pas l’Afrique francophone, l’Afrique de l’Est, l’Afrique du Nord. Nous voyons l’Afrique dans son ensemble, et nous sommes ici pour aider les entreprises américaines à maximiser ces opportunités sur tout le continent, car nous savons que plus nous le ferons, plus notre relation avec toute l’Afrique sera forte. Et c’est finalement ce à quoi les États-Unis s’engagent.

AE : Depuis que le président Biden a annoncé ce Sommet américain avec l’Afrique, des gens y voient à nouveau un moyen de contrer l’influence de la Russie, ou même des Chinois qui sont de grands concurrents des États-Unis en Afrique et dans le monde. Alors, diriez-vous que la nécessité de répondre à l’expansion chinoise ou russe est prise en compte par l’administration américaine ?

AV : Vous savez, je pense que ce sont deux choses différentes. Je veux dire que j’apprécie cette question et j’en comprends le sens. Mais de notre point de vue, et compte tenu de l’endroit où nous sommes cette semaine, au Sommet des États-Unis sur l’Afrique avec le Corporate Council on Africa, nous nous concentrons ici sur les vastes opportunités que l’Afrique offre à nos entreprises. Nous savons que l’Afrique peut rivaliser avec d’autres marchés mondiaux, que l’Afrique attire déjà nos investisseurs et nos entreprises. Nous sommes ici pour l’Afrique. Nous n’avons pas besoin de parler de l’Afrique dans le contexte d’autres marchés ou pays.

Nous voyons déjà beaucoup de personnes travailler ici pour attirer le type d’engagements commerciaux que notre gouvernement et ceux de la région sont en train de développer. Donc je voudrais être clair sur le fait que, lorsque nous abordons notre relation avec l’Afrique, y compris notre relation commerciale, c’est l’Afrique qui nous intéresse et rien d’autre.

AE : On a pu noter que la plupart des économies africaines n’ont pas toujours les capacités suffisantes pour être au niveau des normes attendues par les consommateurs américains. On l’a vu avec l’AGOA, des entreprises du continent peinaient à fournir les produits conformes aux normes américaines de qualité, mais aussi en termes de quantité. Comment gérez-vous cette contrainte, surtout lorsqu’on sait que les Etats-Unis sont une économie développée et que la plupart des partenaires africains ont encore des choses à améliorer ?

AV : Je pense donc que nous travaillons de plusieurs manières avec nos partenaires africains. Le développement des compétences et de la main d’œuvre pour s’assurer que la production peut répondre aux attentes des marchés modernes est un problème crucial, non seulement en Afrique, mais aussi aux États-Unis. L’une des façons avec laquelle nous nous employons pour y répondre est certainement par l’intermédiaire de nos entreprises qui, en collaboration avec des gouvernements en Afrique, travaillent à déployer des programmes de renforcement des compétences de la main d’œuvre locale, à pouvoir assumer et occuper les emplois actuellement créés par les entreprises américaines. Il est donc certain que le développement de la main-d’œuvre, en utilisant ces opportunités fournies par les entreprises est une façon d’y parvenir. Bien sûr, une autre façon de répondre à cette problématique c’est que des étudiants africains viennent fréquenter nos meilleures universités et ramènent ensuite ces connaissances chez eux. Vous savez, nous comptons actuellement près de 40 000 étudiants africains, nous sommes très fiers qu’ils viennent aux États-Unis, qu’ils rejoignent nos universités et qu’ils reviennent ensuite chez eux et deviennent des leaders impressionnants comme la ministre Ghita Mezzour, que j’ai eu l’honneur et le privilège de rencontrer cette semaine, qui était allée aux États-Unis pour son éducation, est rentrée chez elle et dirige aujourd’hui le ministère en charge du numérique au Maroc.

La dernière chose que je dirais, c’est que je ne veux surtout pas négliger les énormes progrès réalisés par les gouvernements africains pour améliorer les compétences de leurs propres populations, et on le voit notamment comment à travers les universités locales et à travers les politiques que ces gouvernements mettent en place, ils développent de nouvelles façons de répondre aux demandes des nouveaux marchés, notamment dans des domaines comme le numérique.

« Je ne veux surtout pas négliger les énormes progrès réalisés par les gouvernements africains pour améliorer les compétences de leurs propres populations »

Il y a quelques jours, j’ai eu la chance de visiter l’Université Polytechnique Mohammed VI, juste à l’extérieur de Marrakech. J’y ai vu une institution de classe mondiale qui, en quelques années à peine, a déjà produit un ensemble impressionnant de diplômés et s’associe déjà à des institutions américaines pour renforcer leur capacité à fournir des services d’éducation et de formation de haut niveau aux étudiants africains. Je pense donc qu’il y a plusieurs façons de travailler avec notre partenaire africain pour relever ce défi.

AE : Dans un récent échange, des responsables de l’institution américaine de financement du développement (US DFC) nous ont fait savoir que la Covid-19 a remis à jour la nécessité de collaborer entre institutions de financement du développement des Etats-Unis et d’Europe, pour atteindre les objectifs.  Cela me permet de poser la question de savoir si une approche similaire est menée en matière commerciale, surtout qu’on voit des alliés de l’Amérique comme la France, l’Allemagne ou le Royaume Uni pousser leurs propres stratégies commerciales en Afrique. Allez-vous établir des partenariats, ou aller en compétition en vous appuyant sur vos avantages comparatifs ?

AV : Je pense qu’il est important de se rappeler, bien sûr, vous le savez mieux que moi, que les Français, les Allemands et d’autres ont une longue et profonde histoire sur le continent, notamment en raison de leurs passés coloniaux. Ainsi, il y a toujours eu cette présence des firmes européennes en Afrique. D’autant plus qu’avec la proximité géographique, il est très naturel pour les entreprises européennes d’avoir une forte présence en Afrique, et nous saluons cette présence. Mais vous savez, avec l’Union Européenne, nous ne sommes pas en compétition pour soutenir l’Afrique. Nous pensons qu’il existe plusieurs moyens d’aider l’Afrique à relever ses défis.

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« Nous disposons d’une capacité unique à relever les défis qui nous permet non seulement d’être compétitifs, mais je crois même de surpasser nos amis européens. »

Cela dit, je crois qu’aux États-Unis, nous disposons d’un calibre unique de services, une capacité unique à mobiliser des capitaux, une capacité unique à innover, à relever les défis majeurs de l’Afrique d’une manière qui nous permet non seulement d’être compétitifs, mais je crois même de surpasser nos amis européens. Nous ne voyons pas cela comme un phénomène nouveau.  Nous considérons que cela fait partie des efforts que nous devons déployer dans la conduite de nos activités en Afrique. Nous acceptons la concurrence car nous avons pleinement confiance dans la capacité de nos entreprises à faire face.

AE : Dans les relations entre les Etats-Unis et l’Afrique on évoque presque toujours, quel que soit le domaine, ce que vous pouvez apporter à l’Afrique. On évoque très peu ce que les Etats-Unis peuvent espérer de l’Afrique dans le cadre de leurs partenariats. Qu’est ce que le gouvernement et les entreprises américaines attendent de leurs partenaires africains dans le cadre de leurs relations commerciales. ?

AV : Alors je dois déjà dire qu’il y a déjà énormément de choses que l’Afrique et les Africains apportent sur la table des relations commerciales. L’un des secteurs les plus évidents où nous constatons cela est celui du numérique. Regardez ces écosystèmes incroyables qui ont été développés par des start-ups dans des pays comme le Nigéria ou le Kenya, et les innovations qui en sont sorties, ils répondent aux attentes de cette population jeune, créative et tournée vers l’avenir, qui est vraiment au cœur du dividende démographique. Si cette dynamique est soigneusement accompagnée par les bonnes politiques, elle peut conduire à de grandes réussites et une plus grande innovation dont nous serons tous les bénéficiaires.

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« Regardez ces écosystèmes incroyables qui ont été développés par des start-ups dans des pays comme le Nigéria ou le Kenya ! »

Ainsi dans la perspective américaine, nous attendons avec impatience ce genre de contributions des Africains en termes d’innovation et d’idées nouvelles. Nous voyons donc l’Afrique non seulement comme un marché pour la consommation des biens et des services américains, mais nous la voyons aussi comme un pourvoyeur clé de biens et de services dont les États-Unis ont besoin.

Cela confirme aussi clairement que l’Afrique est bien plus qu’un marché de matières premières. Même si nous devons l’aider à développer des secteurs à plus forte valeur ajoutée, nous sommes aussi admiratifs des succès que nous pouvons y constater, car cela apporte un plus non seulement aux Etats-Unis, mais au marché mondial dans son ensemble.

 

Source : InvestirAuCameroun

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