Soleil et vent, l’immense potentiel de l’Afrique : l’exemple du Maroc

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Le pays importe actuellement 90 % de l’énergie qu’il consomme – combustibles fossiles, charbon, pétrole et gaz. Mais l’électricité qu’il produit est maintenant issue à 37 % d’énergies renouvelables. Une façon de réduire sa dépendance.

En gare de Tanger, le train Al Boraq en provenance de Casablanca vient d’arriver. C’est le TGV marocain, train à grande vitesse, le premier qui a vu le jour en Afrique, inauguré en novembre 2018.

Le nom Al Boraq, choisi par le roi Mohammed VI, évoque un oiseau mythique au corps de cheval qui a transporté des prophètes dans les récits de la tradition islamique.

Les trains Al Boraq viennent de fêter leurs 10 millions de passagers. Ils offrent des voyages écoresponsables à l’énergie 100 % éolienne, selon le site de réservation. Est-ce donc le vent qui fait rouler le TGV à des pointes de 320 km/h?

Pas tout à fait. En réalité, l’Office national des chemins de fer a signé un contrat avec un parc éolien pour qu’il produise autant d’électricité que les TGV en consomment. Le parc éolien injecte cette électricité sur le réseau national, lequel est approvisionné par plusieurs sources de production. Le réseau assure l’équilibre et fournit de l’électricité aux trains de façon constante. Même si le vent faiblit…

L'avant du train en gare et des voyageurs sur le quai.

Le train à grande vitesse (TGV) Al Boraq met seulement 2 heures à parcourir la distance entre Casablanca et Tanger (340 km, 4 heures en voiture).

PHOTO : RADIO-CANADA / MYRIAM FIMBRY

Le vent, un atout du Maroc

Aujourd’hui le vent est parfait et stable, à sept mètres par seconde, dit Amine Zrida, responsable de la maintenance, en sortant du pied de l’éolienne numéro 40.

Inauguré en 2010 par le roi du Maroc Mohammed VI, le parc éolien a tracé la voie avec ses 140 mégawatts, qui permettent d’éviter annuellement l’émission de 360 000 tonnes de CO2. Ce n’était qu’un début. Maintenant la puissance éolienne installée au pays totalise 1500 mégawatts et, avec les projets en cours, elle va plus que doubler dans les prochaines années.

Le vent est un atout naturel du Maroc, avec ses 3500 kilomètres de côtes, atlantique et méditerranéenne. Cette situation géographique lui octroie un potentiel exceptionnel, estime Abdellah Saphar, directeur exploitation des énergies renouvelables, au sein de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), l’Hydro-Québec marocain.

Abdellah Saphar à côté d'un portrait encadré du roi Mohammed VI.

Abdellah Saphar, directeur exploitation des énergies renouvelables, à l’ONEE, devant le portrait du roi Mohammed VI, au parc éolien de Tanger.

PHOTO : RADIO-CANADA / MYRIAM FIMBRY

Un avantage important de l’énergie éolienne, c’est qu’elle diminue la dépendance énergétique du Maroc, explique M. Saphar. Nous n’avons pas de ressources fossiles. On importe le fioul, le charbon. En évitant de recourir aux centrales thermiques, on réduit donc la dépendance énergétique à l’étranger.

Les campagnes électrifiées à 99,8 %

C’est d’autant plus important que la demande en électricité ne cesse d’augmenter au Maroc, conséquence de l’industrialisation du pays, mais aussi de la demande croissante de la population.

À l’échelle du continent africain, près de 600 millions de personnes, soit 43 % de la population, n’ont toujours pas accès à l’électricité. Mais l’Afrique du Nord se distingue par des taux d’électrification très élevés : l’Égypte, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie arrivent en tête, avec des taux approchant les 100 %, devant le Gabon, le Ghana, l’Afrique du Sud (84 %), le Botswana, le Kenya et le Sénégal (70 %), selon le top 10 du rapport de la Banque mondiale The Energy Progress Report.

Village sur un promontoire, palmiers et fil électrique sur la droite.

Tidgheste, un village connecté à l’électricité à environ 25 km d’Ouarzazate.

PHOTO : RADIO-CANADA / MYRIAM FIMBRY

Au Maroc, l’électrification rurale lancée intensivement dans les années 1990 est presque terminée.

On atteint des taux qui dépassent les 99,8 %, assure Nour Eddine Fetian, directeur central production à l’ONEE, responsable de tous les ouvrages de production d’électricité au Maroc, toutes sources d’énergie confondues.

Il faut savoir transformer la crise en opportunité, dit-il à propos de la hausse des prix du gaz et du pétrole. On ne peut plus être liés à une seule voie d’approvisionnement, qui est le combustible fossile. Donc ces projets d’énergies renouvelables permettent aujourd’hui d’avoir un mix énergétique complètement diversifié, ce qui diminue le risque [de manquer d’énergie].

Nour Eddine Fetian devant des éoliennes

Lutter contre les changements climatiques tout en diversifiant les sources d’énergie pour réduire la dépendance du Maroc : c’est l’objectif de Nour Eddine Fetian, directeur central production à l’ONEE-branche électricité.

PHOTO : RADIO-CANADA / MYRIAM FIMBRY

Faire partie de cette quête, à fond!

Les énergies renouvelables, c’est une passion pour Soukaina, une jeune ingénieure de 27 ans. Lorsqu’elle a choisi d’étudier en génie thermique industriel et énergies renouvelables, à l’École nationale supérieure d’arts et métiers de Meknès, plusieurs personnes disaient que c’était une filière moins mature que le génie civil ou mécanique. Mais vraiment, j’avais cette passion de contribuer à quelque chose de plus grand, qui va sauver, en quelque sorte, le monde!

Soukaina El Idrissi Faouzi a obtenu son diplôme d’ingénieure en 2018. À cette date, la contribution des énergies renouvelables dans le mix énergétique du Maroc était d’environ 14 %.

Soukaina debout dans un café.

Soukaina El Idrissi Faouzi est une ingénieure passionnée du secteur des énergies renouvelables.

PHOTO : RADIO-CANADA / MYRIAM FIMBRY

Plusieurs projets solaires et éoliens ont permis d’atteindre 37 % en 2021, s’enthousiasme-t-elle. Et il y a des ambitions futures pour arriver à 52 % en 2030. Je veux faire partie de cette quête, à fond! dit-elle avec un grand sourire.

Diplôme en poche, la jeune femme originaire de Marrakech s’est fait embaucher à l’immense complexe solaire Noor Ouarzazate, l’un des plus grands d’Afrique.

Un champ solaire à perte de vue

Noor veut dire lumière en arabe. Le terme s’imposait sur un site où le soleil brille plus de 300 jours par an. Un soleil qui tape fort, même en ce début de novembre. La terre sèche et caillouteuse est de la couleur des maisons rurales en terre crue, entre le rose saumon et l’ocre.

Cette chaleur, soit on peut la stocker pour produire le soir, ce qui donne beaucoup de flexibilité, soit on peut l’utiliser pour produire de la vapeur pour faire tourner une turbine qui va entraîner un générateur et produire de l’électricité.

Abdelkader Himdi au milieu d'une allée entre deux rangées de miroirs.

Entre deux rangées de miroirs incurvés longues de 300 mètres, l’ingénieur et directeur exploitation et maintenance à la MASEN, Abdelkader Himdi, au centre solaire Noor Ouarzazate.

PHOTO : RADIO-CANADA / MYRIAM FIMBRY

C’est exactement le même principe qu’une centrale thermique à charbon ou à gaz, sauf qu’ici, le carburant est le soleil, explique Abdelkader Himdi, un ingénieur mécanique du secteur pétrolier, qui a travaillé en France et en Angleterre. En 2015, il est revenu au Maroc avec l’envie d’aider à développer le pays.

Il est maintenant directeur exploitation et maintenance à l’Agence marocaine pour l’énergie durable (MASEN). Cette agence est chargée par l’État marocain de gérer le complexe solaire Noor Ouarzazate.

Les quatre centrales de Noor Ouarzazate (580 MW) permettent d’éviter, au total, le rejet de 900 000 tonnes de CO2 par an, selon la Masen.

L’impact local en matière de développement

La région d’Ouarzazate est réputée pour ses tournages de films, mais aussi pour être une région rurale très défavorisée en matière d’infrastructures et de services par rapport à d’autres régions du Maroc, comme celles de Rabat ou de Casablanca.

La présence du complexe solaire a donné du travail à des milliers de personnes durant sa construction, de 2013 à 2018. À présent, pour l’exploitation, au moins 500 personnes travaillent ici en permanence, majoritairement de la région, dit Abdelkader Himdi.

Un panneau indicateur au bord d'une route et des poteaux électriques.

Des pylônes et lignes électriques dans la région d’Ouarzazate. L’électrification rurale au Maroc, accélérée à partir du milieu des années 1990, est presque achevée.

PHOTO : RADIO-CANADA / MYRIAM FIMBRY

Des routes ont été construites pour l’accès au site, mais aussi pour désenclaver les villages environnants. Certains ont été connectés à l’eau potable et à l’électricité dans la foulée des travaux pour Noor.

La Masen a travaillé aussi avec des instituts de formation à Ouarzazate pour sélectionner et former des travailleurs originaires de la région. C’est plus facile de garder des gens qui sont originaires de la région que des gens qui vont venir un certain temps et repartir. Donc, recruter localement, ça bénéficie à tout le monde.

Des inquiétudes pour le manque d’eau

Le principal défi pour l’avenir du solaire thermique au Maroc ou plus largement en Afrique, c’est qu’il nécessite de l’eau. La centrale Noor récupère la vapeur et la réutilise, mais elle doit quand même puiser 2 millions de mètres cubes d’eau par an dans le barrage local, Mansour Eddahbi, qui a une capacité largement suffisante pouvant aller jusqu’à 400 mètres cubes.

Sauf qu’avec la sécheresse de cette année, le niveau du barrage a fortement baissé, jusqu’à aussi peu que 12 % de sa capacité.

Le niveau d’eau est vraiment très bas, s’inquiète la jeune ingénieure Soukaina El Idrissi Faouzi. On a besoin de cette eau pour nos centrales solaires, parce que c’est un cycle vapeur. Si un jour on n’a plus d’eau, il faut arrêter les centrales. Le manque d’eau, c’est une grosse problématique qu’il faut vraiment que le Maroc intègre dans sa stratégie énergétique.

Abdelkader Himdi au pied d'une rangée de miroirs.

Abdelkader Himdi, à la centrale solaire Noor Ouarzazate. Les miroirs sont surmontés d’un tube où circule un fluide caloporteur porté à 390 degrés Celsius.

PHOTO : RADIO-CANADA / MYRIAM FIMBRY

Pour nous, le souci, il est là, confirme Abdelkader Himdi, de l’Agence marocaine pour l’énergie durable. On essaye de minimiser la consommation d’eau. On est en effet dans un environnement où l’eau est une ressource critique.

Une idée sérieusement à l’étude consiste à installer des panneaux photovoltaïques flottants à la surface du bassin d’eau du barrage pour en réduire l’évaporation tout en produisant de l’électricité. D’une pierre deux coups.

De son côté, Soukaina occupe ses moindres temps libres à la poursuite d’un doctorat qui porte sur l’efficacité de l’absorption de l’énergie solaire dans une centrale solaire thermique. La réflexion des miroirs atteint déjà 93 %, mais comment réutiliser les pertes énergétiques? se demande-t-elle.

Ambition : devenir un pays exportateur

En plus de répondre à ses besoins nationaux, le Maroc a l’ambition d’exporter vers l’Europe une partie de son électricité produite avec les énergies éolienne et solaire. Notamment vers le Portugal, l’Espagne, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Il souhaite aussi servir de modèle à d’autres pays africains désireux de développer les énergies renouvelables. Récemment, une délégation est venue de Namibie au complexe solaire Noor Ouarzazate pour en apprendre plus sur les avantages et inconvénients des différentes technologies, photovoltaïque et thermique.

Le potentiel solaire de l’Afrique est immense, c’est le continent le plus ensoleillé au monde! fait remarquer Mostafa Nachoui, professeur à l’Université Hassan II de Casablanca et directeur de publication de la revue Espace géographique et société marocaineEt l’Afrique, on en parle moins, c’est aussi l’Afrique maritime. L’Afrique du Sud produit de l’énergie éolienne en mer, ce que le Maroc n’a pas encore osé faire.

Mustapha Nachoui.

Mostafa Nachoui, professeur à l’Université Hassan II de Casablanca, s’intéresse aux questions géopolitiques et énergétiques.

PHOTO : RADIO-CANADA / MYRIAM FIMBRY

Kenya, Tunisie, Égypte, Afrique du Sud… Une vingtaine de pays africains s’intéressent au potentiel inexploité du vent et du soleil, avec le soutien de bailleurs de fonds internationaux, tels que la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement.

L’Afrique se tourne vers l’énergie renouvelable et le monde se tourne vers l’Afrique, dit en souriant Mostafa Nachoui.

Potentiel énorme, défis énormes

Mais les défis sont énormes pour obtenir les financements nécessaires à la réalisation de ces grands projets. À titre d’exemple, la construction du complexe solaire Noor Ouarzazate a coûté une fortune : quelque 9 milliards d’euros (12,5 milliards de dollars canadiens).

Le manque d’infrastructures de transport dans des espaces immenses, l’image de sous-développement du continent et les problèmes de gouvernance de certains États freinent les investissements. Il y a actuellement un désistement des organismes internationaux de financement pour soutenir le développement de l’Afrique, observe le chercheur.

Les Africains doivent prendre leur destin en main, mais avec de l’aide internationale et des politiques régionales. On a 54 pays très différents géographiquement, il ne faut pas une seule politique pour l’Afrique.

Quai et voie ferrée, dehors.

Gare ferroviaire de Casablanca au lever du soleil, des voyageurs attendent l’arrivée du TGV vers Rabat-Tanger.

PHOTO : RADIO-CANADA / MYRIAM FIMBRY

Source: Radio Canada

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