FINANCES INTERNATIONALES – INTERVIEW: avec Akinwumi Adesina, président de la Banque Africaine de Développement (BAD)

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En marge de la quatrième édition de l’Africa Investment Forum (AIF) tenue à Marrakech du 8 au 10 novembre 2023, Financial Afrik s’est entretenu avec Akinwumi Adesina, le président de la Banque Africaine de Développement (BAD). L’occasion de faire le point sur ces journées dédiées à l’investissement. 

Nous venons de boucler la quatrième édition de l’Africa Investment Forum. Que faut-il en retenir? Quel est l’apport du secteur privé africain?

Après trois jours de rencontres et de négociations, nous avons enregistré des intentions d’investissements de $ 34,82 milliards de dollars, un montant phénoménal dédié aux projets d’infrastructure, d’énergie et d’agriculture notamment. En plus, la Banque Africaine de Développement, la Banque islamique de Développement, Afreximbank, l’UNIDO et Arise ont lancé l’alliance des zones agro -industrielles (ZAP-A) pour un investissement additionnel de 3 milliards de dollars. Le secteur privé africain était bien représenté. Prenons le cas de la plateforme industrialo-portuaire de Nador West Med, un projet de $4,5 milliards de dollars incluant un port en eau profonde, qui a enregistré beaucoup d’intérêts dans les board rooms de l’AIF. Idem pour le projet de pipeline gazier entre le Maroc et le Nigeria. Le projet de la transformation de lithium en batteries électriques en République Démocratique du Congo (RDC) a généré beaucoup d’intérêt de la part des investisseurs. Il en est de même du corridor ferroviaire reliant la Tanzanie à la Zambie dont le boadroom était présidé par la Présidente de Tanzanie.  J’ai suivi aussi les négociations dans le boardroom du Togo avec le président Faure Gnassingbé pour un projet ferroviaire qui a généré beaucoup d’intérêt. En dehors des infrastructures, il a été beaucoup question de l’agriculture et de la transformation des produits agricoles africains. En exemple, le riz en Sierra Leone avec un projet de 800 millions de dollars pour emblaver 30 000 hectares de terres arables et construire une route de 90km. En présence du président Mada Bio, les financiers ont manifesté beaucoup d’intérêt pour le projet et la BAD jouera un rôle de premier plan dans la mobilisation des financements  de ce programme stratégique.

Vous étiez particulièrement attendu sur les questions agricoles quand vous avez été élu à la présidence de la BAD. L’année dernière à Dakar, votre leadership a été décisif pour la conclusion du Compound 2. Ici, à Marrakech, il y a ce projet d’alliance des zones agricoles spécialisés. Quelle est sa mission et sa portée ?

L’Afrique produit beaucoup de commodités exportées sans valeur ajoutée. Le continent ne représente que 2.6% de la valeur ajoutée des produits transformés au niveau mondial. Ce ratio tombe à 1%, part de l’Afrique dans les produits transformés à l’export. En transformant ces produits localement, l’on crée des emplois tout au long de la chaîne de valeur. Les emplois africains dans l’industrie ne représentent que 6,8% au niveau mondial contre 90% pour l’Asie. Bref, nous devons faire en sorte que tout ce qui est produit soit transformé localement et créer ainsi de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de valeur du textile, du cacao, du café, du cajou , du manioc, etc. Il en est de même des produits d’élevage et de la filière bovine par exemple. La transformation des produits animaliers dans des zones agro-industrielles dédiées avec une chaîne de froid permettra d’augmenter leur valeur ajoutée et de créer des emplois. Aussi les zones agro-industrielles spécialisées sont des espaces intégrés nouveaux que nous avons créé pour favoriser la transformation des produits agricoles. Ces ZAP apportent des solutions en termes d’infrastructure, d’énergie et de facilitations nécessaires à la transformation. Ces zones permettront de transformer nos zones rurales en y créant des emplois et de la prospérité. Le Bénin offre un bel exemple avec la Glo-Djigbé Industrial Zone (GDIZ) dédiée à la transformation locale de produits agricoles. Auparavant, le Bénin exportait son coton et son cajou sans aucune transformation. Aujourd’hui, le contexte a changé. Tous les produits agricoles passent par une première transformation avant l’export. Nous devons suivre cet exemple car je suis persuadé que l’exportation des produits bruts conduit à la pauvreté. Et l’exportation des produits à haute valeur ajoutée est l’autoroute de la prospérité.

Le thème de cette édition est fort: débloquer les chaînes de valeur. Dans ce cadre, quid de la question de la mobilité des facteurs comme l’élimination des visas entre pays africains et de l’énergie indispensable à la transformation des produits agricoles ?

En effet, ces deux facteurs sont importants. L’agenda 2063 de l’Union Africaine intitulé “l’Afrique que nous voulons” ne peut se réaliser si les gens ne sont pas libres. Les économies africaines ne pourront pas être intégrées si les populations ne le sont pas. Comment investir dans un pays si l’on a du mal à s’y rendre. En éliminant les obstacles à la circulation des personnes, l’Afrique se donne les moyens de véritablement améliorer les échanges et les investissements intra-africains. Je salue la décision historique prise récemment par le président William Ruto du Kenya de permettre à tous les ressortissants africains de venir au Kenya sans visa. Le Rwanda et le Bénin avaient aussi suivi le même processus. Ces trois pays ont en commun une forte croissance et une attractivité accrue des investisseurs notamment africains. Les investissements directs étrangers (IDE) augmentent et les recettes  touristiques augmentent aussi. Ainsi, en libéralisant, en supprimant les visas, on gagne.

Quant à la question de l’énergie, il s’agit d’un pré-requis à l’industrialisation, qui fait partie des 5 priorités (high five) que nous avons définies à la BAD. Quand nous avons commencé à déployer notre stratégie, la couverture de l’électricité en Afrique était d’à peine 32%. Aujourd’hui, nous sommes à 57%. Il y an encore beaucoup à faire puisque plus de 600 millions d’africains n’ont pas encore accès à l’électricité. Nous investissons massivement dans la production de l’énergie et les lignes à haute tension. Les 11 pays du Sahel sont concernés par notre initiative “Desert to Power Initiative” destiné à en faire la plus grande zone à énergie solaire dans le monde, soit 10 000 MW. C’est un projet complexe englobant la production, le transport (les corridors régionaux)  et la mise à niveau des sociétés d’électricité. Un exemple est le projet de centrales solaires à Segou (Mali), en Mauritanie et Yellen (Burkina Faso). Au Cap-Vert, nous investissons dans l’éolien. Nous accompagnons l’Afrique du Sud à résoudre sa crise énergétique en investissant dans la production et la transmission avec un montant de 400 millions de dollars.

En dernière question, que pensez-vous du projet de pipeline gazier reliant le Nigeria et le Maroc ?

Vous savez, quand la crise russo-ukrainienne s’est déclenchée, l’Europe a essayé avant tout de sécuriser ses approvisionnements en gaz. L’Afrique doit en faire de même. À la BAD, nous consacrons 83% de nos financements dédiés à l’énergie au renouvelable. Mais nous sommes pragmatiques. Le renouvelable à lui seul ne peut pas résoudre la question des besoins en énergie dans le processus d’industrialisation. L’Afrique doit valoriser son gaz et ce projet de pipeline qui traverse plusieurs pays en est un parfait exemple de coopération et de chaîne de valeur régionale. Selon des agences internationales d’énergie, si l’Afrique mettait à profit son gaz dans la production de l’énergie, sa part dans les émissions polluantes tomberait à 0,6% . C’est un projet qui a généré beaucoup d’intérêt à l’AIF.

Source: Financial Afrik

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