TEMOIGNAGES// Attirés par l’image de l’entrepreneur qui réussit, ils pensaient avoir l’idée du siècle, rêvaient de liberté et de changer le monde. La dure réalité du « métier » d’entrepreneur les a rattrapés.
Comme beaucoup de jeunes de son âge, biberonnés en école de commerce aux success stories entrepreneuriales, Amandine Chaubet a voulu se lancer dans l’aventure. Six mois après, celle qui avait créé une start-up dans la mode a mis la clé sous la porte. Non pas en raison d’une faillite imminente. Mais parce que le job ne lui correspondait pas.
Pour la jeune femme, désormais salariée chez Tik Tok , la solitude du quotidien, la responsabilité financière, les remises en question permanentes écornent petit à petit le mythe de l’entrepreneur. Elle rêvait d’avoir « l’idée à un million », mais « on se raconte un peu des histoires… On n’est pas en train de changer le monde, il y a beaucoup de problèmes d’ego », analyse-t-elle.
Elle avait sûrement sous-estimé le côté multifacette du job, qui requiert d’être à la fois comptable, communicant, marketeux… Mais pas seulement. « Je me suis rendu compte que je n’étais pas juste fatiguée. En fait, je ne prenais pas de plaisir », confie-t-elle.
Dans ces conditions, se projeter sur le long terme devient impossible. « Même si mon affaire fonctionnait, je ne voulais pas faire ce métier encore dix ans, explique Jennifer Palmer, qui a fermé son entreprise de coaching il y a tout juste trois mois. On confond être entrepreneur et être entrepreneur de sa vie. » Désormais retournée sur le chemin du CDI , cette trentenaire assume son « manque d’ambition » et s’amuse des remarques des recruteurs. « Ils m’expliquent que je vais devoir avoir des horaires de travail. Mais oui ! Merci, avec plaisir ! »
Selon les derniers chiffres de l’Insee, seules 67 % des sociétés sont encore actives cinq ans après leur création. Une proportion qui tombe à 37 % pour les microentreprises. « Quatre entrepreneurs sur dix que j’accompagne ferment leur entreprise car la profession ne correspond pas à leurs valeurs et décident de se tourner vers le salariat », observe Xavier Petitpez, formateur, qui suit notamment des chefs d’entreprise en reconversion.
Il faut dire que le quotidien des entrepreneurs n’est pas toujours rose. « A force de faire plein de petites choses, on ne fait rien de grand », résume Jennifer Palmer, devenue directrice commerciale. La tâche est tout aussi ardue pour les micro-entrepreneurs : impayés des clients, démarchage, pression des financeurs…
Chez les désabusés de l’entrepreneuriat, la liberté n’est qu’une illusion. « On croit qu’on est libre, mais dès qu’on lève des fonds on ne l’est plus ! Tous les mois il faut reporter aux investisseurs, vivre le stress des réunions et du comité de direction », rappelle Amandine Chaubet.
Une solitude au quotidien
« Quand on est indépendant, on devient un produit, on fait ce que veut le client », poursuit Xavier Petitpez, lui-même passé par là et « dégoûté » de l’entrepreneuriat, avant de se relancer récemment. Sa parade ? « Me spécialiser dans un secteur de niche, celui de former des formateurs, où je choisis mes tarifs, mes dates. La rareté permet de récupérer de la liberté. »
Beaucoup d’ex-entrepreneurs soulignent également la solitude, prégnante à chaque instant. « On se retrouve vite tout seul dans la prise de décision. Un salarié va avoir le confort de ne pas avoir à prendre de décisions difficiles, ou tout du moins d’être accompagné. Moi, j’avais personne pour faire le ping-pong », témoigne Thomas Pons.
Pourtant, l’ancien fondateur de Prezmaker vivait « confortablement » : « J’avais un chiffre d’affaires de 100.000 euros par an. Mais j’avais l’impression de m’atrophier, avec personne pour faire évoluer ma réflexion. » Devenu intrapreneur dans une PME, il continue d’exercer sur son temps libre une activité de chef d’entreprise. « J’accepte seulement les missions qui me font plaisir », précise-t-il.
Aller chercher chaque euro
Un luxe que tous ne peuvent pas s’offrir. « Je faisais partie de ceux qui s’en sortaient, raconte Sophie Vouteau, ancienne microentrepreneuse dans l’édition et les relations presses, autrice de « Ma vie d’auto-entrepreneur, pas vraiment patron, complètement tâcheron », paru en 2018. Mais derrière cette impression de facilité, il y a une précarité sous-jacente. »
Elle dénonce le manque de protection du statut, surtout à l’époque. « Aujourd’hui, le dispositif a évolué (assurance chômage, protection sociale, plafonds relevés, etc.), reconnaît-elle. Mais je pense encore qu’il s’adapte surtout à des gens plutôt jeunes sans charge familiale, qui cherchent surtout un complément de revenus. »
Pour Mathieu Lebond, la délicate question financière est bien au coeur de son échec. Aujourd’hui développeur, il a lancé il y a quelques années une entreprise spécialisée dans les jus à Lyon. L’histoire s’est terminée avec zéro vente et quelques dettes. « J’avais la sensation que tous les jours, on venait me prendre de l’argent pour un oui ou pour un non. C’était devenu une sorte d’engrenage sans moyen de s’en sortir… » confie-t-il.
Obnubilé par son entreprise, sa vie personnelle en a pris un coup. Il finit par prendre conscience que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Et se décide à lâcher prise. « Ce fut un soulagement », reconnaît-il, sans pour autant totalement exclure d’entreprendre à nouveau un jour… « à condition d’être mieux accompagné ! »
« Syndrome Zuckerberg »
De l’aveu de tous les entrepreneurs interrogés, le processus de création reste le plus grisant de cette expérience qu’ils ne regrettent pas. C’est après que les choses se gâtent. « Trouver des idées, inventer, c’est assez cool. C’est d’ailleurs la partie qu’on nous vend », souligne Mathieu Leblond. C’est peut-être justement là que le bât blesse…
Thomas Pons évoque le « syndrome Zuckerberg : l’idée que tout le monde peut devenir entrepreneur dans sa chambre d’étudiant, en partant de rien, simplement en ayant la bonne idée qui permettrait de devenir le maître du monde. » La promesse illusoire en somme du « quand on veut on peut » .
« Quand j’ai passé des entretiens d’embauche, on me disait que je revenais en arrière, car ils voyaient l’entrepreneuriat comme une fin en soi. Mais ce qui compte, c’est d’être juste bien », estime Jennifer Palmer.
« On nous martèle que l’entrepreneuriat doit être un changement de vie, une sorte de Graal. En bref, qu’on doit quitter cette vie pourrie de cadre à Paris et si, dans le storytelling, il y a un burn-out , c’est encore mieux », ironise Amandine Chaubet, plus que jamais épanouie, aujourd’hui, comme cadre dans la capitale.
Source: start les echos
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