Eco Numérique -Cryptomonnaies en RCA : quels risques pour le Cameroun ?

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Deux mois après l’adoption d’une loi qui légalise l’usage des cryptomonnaies, le président centrafricain a dévoilé dimanche dernier « Sangocoin » ; une cryptomonnaie locale qui, avec le Bitcoin, aura désormais cours légal dans le pays. Un passage aux forceps malgré les dissuasions de la Beac et de la Cobac qui, de l’avis de Faustin Archange Touadéra, devrait permettre à son pays d’impulser une nouvelle phase de son développement. Seulement, la « Cryptoisation » de l’économie centrafricaine est susceptible d’avoir des répercussions dans les autres pays membres de la communauté plus particulièrement le Cameroun. Décryptage.

Les mesures dissuasives de la Commissions  bancaire d’Afrique centrale (Cobac) n’ont pas suffi à apaiser les ardeurs de la République Centrafricaine(RCA) dans son projet de migration vers une économie basée sur la cryptographie. Deux mois seulement après l’adoption d’une loi qui légalisait l’usage des cryptomonnaies dans le pays, le président Faustin Archange Touadéra a procédé dimanche dernier au lancement de « Sango Coin », une cryptomonnaie locale qui est ainsi devenue la deuxième ayant cours légal dans le pays après le Bitcoin. Dans son discours de présentation, le président s’est voulu optimiste ; marquant clairement la rupture avec l’économie formelle qui « n’est plus une option ». « Nous avons pris notre destin en main » a-t-il affirmé avec fermeté avant de renchérir, « le Sango Coin sera la monnaie de la prochaine génération pour la République centrafricaine… Quant au citoyen, il sera gagnant à tous les niveaux, il vivra dans un pays en plein essor économique ce qui signifie création d’emplois, exploitations de ressources naturelles et prospérité… Pour nous, l’économie formelle n’est plus une option ».

L’émergence de ces nouveaux moyens de paiement difficilement contrôlable compromet à plus d’un titre l’avenir de la Cemac et de l’Union monétaire de l’Afrique Centrale(Umac) en particulier. Elle est également susceptible d’avoir des répercussions dans les autres pays membres de la communauté plus particulièrement le Cameroun.

Risque de dévaluation

Dans la Cemac, le privilège exclusif de l’émission monétaire sur le territoire de chaque Etat membre revient à la Banque des Etats de l’Afrique Centrale(Beac). De ce fait, l’adoption des cryptomonnaies comme moyen de paiement vient saper ce privilège ce qui rendrait difficile la mise en œuvre par la Beac de sa politique de stabilisation des prix. Bien plus, le nouveau règlement sur le change en vigueur dans la zone Cemac consacre le rapatriement et la rétrocession de l’ensemble des devises détenues par les entités résidentes dans la Cemac (y compris les Etats) à la Beac. L’application stricte de ce règlement a permis à la Banque centrale de renforcer ses avoirs extérieurs (4 146 milliards de FCFA à fin 2021) afin de garantir la stabilité du FCFA vis-à-vis de l’euro. Si elle tire profit de cette stabilité, la RCA pourrait bien, à travers la cryptomonnaie, favoriser le ponctionnement de ces réserves. Dans une récente étude, le ministère camerounais des Finances(Minfi) analysant l’impact de cette « révolution », explique qu’il y aurait en effet peu de chance que les entreprises et l’Etat centrafricain rapatrient leurs gains sur le Bitcoin et les recettes d’exportations effectuées à l’aide de la cryptomonnaie. « Cette situation est d’autant plus probable qu’en raison de la politique monétaire et de changes communs, les politiques budgétaire et structurelle constituent l’instrument principal au niveau national pour amortir les chocs et promouvoir l’activité économique. Les autorités centrafricaines peuvent être incitées à adopter un comportement opportuniste dans ce contexte car le coût d’une politique budgétaire expansionniste en termes de perte de compétitivité et de réduction des réserves internationales est supporté par la Communauté dans son ensemble. Cela est particulièrement vrai pour les pays membres plus petits comme la RCA car, l’impact de leurs politiques insoutenables sur le « bien commun » de la Communauté est relativement faible » révèle l’étude. De manière logique, la baisse du niveau de réserve officiel de la communauté qui en découlerait exposerait ainsi le FCFA à des risques de dévaluation.

Implications budgétaire

Toujours selon le Minfi, la loi crypto en RCA devrait entrainer une baisse des recettes fiscales au Cameroun. Fort des échanges commerciaux entre les deux pays, « la politique budgétaire pourrait se trouver menacée, étant donné le potentiel des cryptoactifs en matière de fraude fiscale, cela pourrait par exemple mettre à mal la modification de la loi fiscale visant à imposer les transferts d’argent car cette imposition pourrait être contourner par l’usage de la cryptomonnaie et donc entrainer une baisse des recettes fiscales ». Peut- on lire. Du fait de leur nature, les cryptomonnaies offrent aux agents économiques la possibilité de contourner le système fiscal, et l’ampleur de son utilisation remettrait en cause l’implémentation de la politique budgétaire.

Risques sécuritaires

En proie en une crise sécuritaire depuis plusieurs années déjà les régions du Nord-ouest du Sud-Ouest et de l’Extrême-Nord sont le théâtre d’actions terroristes ourdies par des groupes armés. En 2018, les mouvements séparatistes anglophones avaient déjà fait recours aux cryptomonnaies (ambacoin) pour financer leurs activités dans les régions du Nord-ouest et Sud-ouest. Cet actif n’étant pas lié à la banque, les organisations criminelles peuvent l’utiliser pour se financer d’autant plus que cette loi induit une convertibilité automatique avec le franc CFA. Pour le ministère des finances, « Les phénomènes de prise d’otage avec demande de rançon étant de plus en plus fréquents dans la partie septentrionale du pays et le long de la frontière avec la RCA, les cryptomonnaies pourraient être un moyen pour les ravisseurs, de contourner les dispositifs sécuritaires mis en place par les autorités camerounaises pour enrayer ce phénomène » .

 

Source : EcoMatin

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