L’effort entrepris par les États-Unis pour exclure la Russie du commerce international marque une nouvelle fracture dans la vision du libre-échange tel qu’il guide la politique américaine depuis près de trente ans, augurant d’un avenir où les États et les entreprises ne commerceront plus avec n’importe qui, ami ou ennemi, et privilégieront les partenaires de même sensibilité.
Les décisions de Washington et de ses alliés européens depuis que la Russie a envahi l’Ukraine ont été rapides et drastiques, notamment l’interdiction ou la diminution des achats de pétrole, de gaz et de charbon pour faire pression sur le président russe, Vladimir Poutine, afin qu’il retire ses troupes.
Les Occidentaux ont aussi pris des mesures pour exclure les banques russes des réseaux financiers internationaux, tandis qu’au Congrès américain une coalition bipartite a présenté une proposition de loi appelant Washington à faire pression pour suspendre la Russie de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – ce qui serait sans précédent dans l’histoire de l’institution internationale [le 11 mars, les pays alliés contre la Russie ont décidé son exclusion du régime normal de réciprocité régissant le commerce mondial].
“Le commerce international tel que nous le connaissons, axé sur l’OMC et un ensemble de règles de base régissant tous les échanges, est en train de s’effondrer”, résume Jennifer Hillman, avocate spécialisée en droit du commerce et ancienne juriste auprès du tribunal de l’OMC, qui enseigne aujourd’hui le droit international à l’université Georgetown [à Washington].
Assauts antimondialisation
Le concept de mondialisation – où les nations commercent entre elles sans entraves ou presque, chacune se spécialisant dans les biens et services qu’elle maîtrise le mieux – est malmené depuis des années déjà, sous l’effet des rivalités économiques, des fermetures d’usines dans les pays riches mais aussi de ces voix qui s’élèvent pour estimer que l’ouverture des frontières commerciales n’est pas dans l’intérêt national, en particulier en situation de crise.
Donald Trump durant sa présidence a accentué cette tendance en déclenchant en 2018 une guerre commerciale avec la Chine. La pandémie de Covid-19 a encore poussé en ce sens en mettant à nu la dépendance américaine aux importations, notamment celles d’équipements de protection et de puces électroniques.
L’avenir du commerce mondial pourrait se jouer, selon Jennifer Hillman, dans la multiplication d’accords régionaux dont les signataires partageraient davantage d’intérêts communs, à l’image du pacte entre les États-Unis, le Canada et le Mexique signé en 2020.
“Nous allons à mon avis avoir de plus en plus de blocs commerciaux par affinités, poursuit-elle. Reste à savoir s’il s’agira d’alliances formalisées ou non.”
Relocaliser n’est pas bon pour l’inflation
Pour ses partisans, pourtant, la mondialisation a largement répandu ses bienfaits, ouvrant de nouveaux marchés aux entreprises et rendant une variété de biens de consommation plus accessibles aux consommateurs. Relocaliser la production ne ferait qu’ajouter à l’inflation, déjà préoccupante.
Pour Bill Reinsch, du Center for Strategic and International Studies, un groupe de réflexion de Washington consacré aux enjeux de sécurité nationale aux États-Unis, les technologies du transport et des communications sont telles que les entreprises ont encore tout intérêt à la mondialisation, qui leur permet de proposer les produits les plus compétitifs.
Source : CourrierInternational
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