Le temps des sanctions cosmétiques n’a donc duré qu’une journée. Même sous bannière et sur terrain neutre, sans hymne ou maquillée en « Fédération russe de football », la Russie a été exclue, lundi 28 février, de la prochaine Coupe du monde par son organisatrice, la FIFA. Dimanche, la Fédération internationale de football avait pris – à l’unanimité du bureau de son conseil – ces décisions. Elles laissaient ainsi la possibilité à la Sbornaïa de disputer les barrages, les 24 et 28 mars, et peut-être de se qualifier pour le Mondial au Qatar en fin d’année (du 21 novembre au 18 décembre).
Souvent très chien et chat ces dernières années sur différents sujets, la FIFA et l’UEFA, la très puissante confédération européenne, ont fait en apparence cause et communiqué communs pour annoncer, peu avant 19 heures, la suspension des sélections nationales et des clubs russes de toutes les compétitions, jusqu’à nouvel ordre. « Le football est ici totalement uni et en plein soutien envers toutes les personnes touchées en Ukraine. Les deux présidents [Gianni Infantino pour la FIFA et Aleksander Ceferin pour l’UEFA] espèrent que la situation en Ukraine s’améliorera significativement et rapidement afin que le football puisse à nouveau être vecteur d’unité et de paix entre les peuples », avancent les deux instances en référence à l’invasion du pays par les armées du président russe, Vladimir Poutine.
Pour le football russe, les conséquences sont nombreuses et font mal. La sélection féminine se voit privée de l’Euro anglais, en juillet, et le Spartak Moscou est exclu de la Ligue Europa avant de jouer son huitième de finale contre les Allemands du RB Leipzig. Selon nos informations, la décision de sanctionner les clubs faisait son chemin dès dimanche à l’UEFA, la FIFA s’étant alignée ce lundi.
Membre de son bureau comme tous les autres présidents de confédération, Aleksander Ceferin , « l’européen », a poussé pour suspendre le pays hôte du Mondial 2018. Pouvait-il en être autrement ? Les adversaires de la Russie en barrages (à savoir la Pologne et le vainqueur de Suède-République tchèque) étaient prêts à assumer la politique du terrain vide au risque d’être considérés comme forfait.
Infantino, « roi du consensus »
« Gianni Infantino s’est rendu compte du bazar mis dimanche », confie un proche du dossier pour expliquer le changement de pied opéré par le patron de la FIFA. Par « bazar », il faut entendre la possibilité d’une qualification russe obtenue sur tapis vert, soit la porte ouverte à un boycott de la Coupe du monde par certains pays qualifiés.
Pour un ancien collaborateur du dirigeant suisse, ce dernier a « agi sous la pression de tous les autres en roi du consensus et de la réforme molle ». Selon cette source, M. Infantino « ne décide jamais rien sans se couvrir ». Dans ce cas précis, cette couverture a pris la forme plus tôt dans la journée de lundi d’un communiqué du Comité international olympique (CIO) recommandant aux fédérations internationales de « ne pas inviter » les athlètes et équipes russes et biélorusses dans les compétitions sportives internationales.
Pour les amateurs de football, la prochaine soirée de Ligue des champions ne débutera donc pas par ces quelques notes devenues familières du Concerto pour piano n° 1 de Tchaïkovski, bande-son depuis 2012 du spot de Gazprom, sponsor officiel de la plus prestigieuse compétition européenne de clubs et dont l’Etat russe est l’actionnaire majoritaire. L’UEFA a rompu « avec effet immédiat » son partenariat avec le géant du gaz.
Renouvelé le 19 mai 2021, le contrat courait jusqu’en 2024. « L’invasion ne nous a laissé aucune alternative, explique un haut dirigeant européen. Cela aurait été impossible moralement de continuer avec une société d’Etat russe tout en sanctionnant les clubs russes. » Selon nos informations, le nouveau contrat s’élèverait à plus de 40 millions d’euros par an pour la Ligue des champions, sans oublier un autre contrat scellé pour l’Euro 2024, rompu lui aussi.
La flamme bleue s’éteint pour l’UEFA
Pendant dix ans, le logo de Gazprom (avec sa flamme bleue) a illuminé les stades européens et les écrans du monde entier, soit un parfait exemple de « soft power » assumé dès le départ par son directeur général, Alexeï Miller. « Je suis convaincu que cette collaboration améliorera la réputation de Gazprom et accroîtra la notoriété de notre marque à un niveau fondamentalement nouveau à l’échelle mondiale », annonçait à l’époque l’actuel vice-président de la Fédération de football russe.
Intéressé par le rachat en 2003 du… Paris-Saint-Germain, ce proche de Vladimir Poutine a un temps rêvé de créer une « ligue de football unifiée » sur le modèle « néosoviétique » de la KHL en hockey sur glace avec des chocs entre équipes moscovites et des clubs ukrainiens comme le Dynamo Kiev et le Chakhtar Donetsk. L’annexion de la Crimée en 2014 et la première crise russo-ukrainienne avaient mis fin à son grand projet.
« Nous illuminons le football », dit le slogan de Gazprom. Sous le coup de ces sanctions historiques, c’est tout le football russe – dans lequel les oligarques proches du Kremlin ont été incités à investir dans les années 2000 – qui plonge dans le noir. Dans la foulée des annonces de la FIFA et de l’UEFA, la fédération russe a dénoncé des décisions « avec un effet discriminatoire sur un grand nombre de sportifs, d’entraîneurs, d’employés de clubs ou de la sélection nationale ». Elle affirme également se « réserver le droit de contester cette décision de la FIFA et de l’UEFA en accord avec le droit du sport international », sans fournir d’autre précision comme un éventuel recours devant le Tribunal arbitral du sport (TAS).
Si les Russes ne verront pas le Qatar et ses stades climatisés, les Ukrainiens sont, eux, toujours engagés pour ces barrages et doivent se déplacer en Ecosse le 24 mars. Mais avec quels joueurs ? Dans le cadre de la mobilisation générale, les footballeurs évoluant au pays n’ont pas le droit de quitter le territoire national, comme tous les hommes de 18 à 60 ans. Mais, pour eux, le match le plus important à gagner n’est sans doute pas celui prévu sur la pelouse du Hampden Park de Glasgow.
SOURCE : LE MONDE
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