Le cadre dynamique sait qu’il faut changer de boite pour gagner en salaire et en responsabilités. D’autres font le choix inverse. D’Axa à Accenture en passant par Fayard, trois profils, de trois générations différentes, ont fait le pari du temps long. Ils nous expliquent comment ils ont atteint le haut de la hiérarchie en entrant par la petite porte.
“Je n’avais pas l’intention de rester 30 ans dans la même entreprise”, lâche Jean-Marc Ollagnier. “Même si une vision loyale était plutôt partagée à l’époque”, reconnaît-il. Lorsque ce quinqua entre en stage en 1986 dans la cabinet de conseil et d’audit Accenture (qui s’appelle alors Arthur Andersen), il assure ne pas avoir de plan de carrière très organisé. Diplômé d’une école d’ingénieurs, il cherche avant tout “des gens motivants avec qui évoluer”. Une stratégie de la navigation à vue qui semble avoir porté ses fruits. En janvier dernier, il est nommé directeur général d’Accenture en Europe, une entité qui génère 14,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2019, soit un tiers de l’activité monde du géant du conseil en technologie.
Guillaume Borie, lui aussi, jure sur l’honneur de n’avoir jamais préparé de plan de carrière. Et on veut bien le croire. Étudiant à Sciences Po, il rêve d’être diplomate. A la faveur d’une rencontre, il entre en stage chez Axa il y a une dizaine d’années. Il est aujourd’hui directeur général délégué de l’entité française à seulement 33 ans. Alors oui, cela ne fait pas 40 ans mais seulement 10 qu’il est entré chez l’assureur français. Mais une décennie est déjà bien assez pour déclencher de la tachycardie à tous les “jobhoppers” qui changent d’emploi tous les ans, voire deux pour les plus patients. Selon une étude Ipsos pour My Job Glasses, près d’un jeune actif sur deux quitte son premier emploi moins d’un an après son embauche.
“Je me battais pour remplacer l’assistante de direction”
“C’est d’une banalité confondante mais c’est d’abord une histoire de rencontres”, explique Guillaume Borie. C’est son poste d’attaché de presse et de porte-parole du comité exécutif de l’entreprise qui le met en contact régulier avec des poids lourds de la boite, au premier rang le PDG d’alors, Henri de Castries. Le jeune Guillaume le débriefe après ses interviews données à la presse.
Une telle vision ne va pas dans le sens de l’injonction à l’anticipation à tout crin dont on nous demande de faire preuve, à peine le brevet des collèges en poche. Un plan de carrière trop rigide serait nier la contingence des aventures professionnelles. Car on le sait, une opportunité, et paf, votre carrière décolle.
Sophie de Closets est normalienne quand elle entre en stage dans l’édition, chez Fayard. Elle fait ses preuves et décroche un CDI. Son job d’éditrice : lire des manuscrits et dénicher les livres qui feront le catalogue de la célèbre maison d’édition. Mais elle sait que son métier ne lui fait découvrir qu’une facette de l’entreprise. Elle veut une vision plus globale. Alors quand l’assistante de direction part en vacances, elle se propose de la remplacer.
Elle sait que remplacer une secrétaire lui fera comprendre les rouages de Fayard. “Un des directeurs de l’époque n’avait pas d’ordinateur, ni de téléphone dans son bureau, et je remplaçais son assistante quand cette dernière partait en congé : je lui imprimais tous ses mails et il me dictait les courriers. J’apprenais ses façons de travailler.” Pareil, quand quelques années plus tard, une attachée de presse part en maladie, Sophie de Closets prend le relais au pied levé pour huit mois. La jeune femme est agrégée d’histoire, elle aspire sans doute à d’autres missions. “Aujourd’hui, en tant que PDG de Fayard, je sais que ce que j’y ai appris me sert terriblement”.
Tentée plusieurs fois par la sortie, Sophie de Closets fait l’éloge du temps long
La carte multi-tasking a été un atout mais Sophie de Closets sait qu’elle n’a pas suffi. “J’ai eu la chance d’arriver dans un moment particulier où la génération des baby boomers se retirait peu à peu après s’être accrochée fort longtemps aux postes de pouvoir. La génération qui a précédé la mienne a rarement pu accéder à des postes de direction générale. Dans l’édition, beaucoup d’éditeurs talentueux ont ainsi choisi de fonder leur maison quand ils avaient entre 40 et 50 ans. Cette génération a été sacrifiée, victime du syndrome du Prince Charles.”
Cela fait aujourd’hui 17 ans qu’elle a poussé les portes de cette grande maison d’édition française. L’ennui point-il ? Point du tout. L’édition est le secteur du temps long. “Des projets mettent parfois 10 ans à voir le jour. Un éditeur a la chance d’être aux côtés d’auteurs qui construisent patiemment une œuvre de livre en livre, et c’est une grande joie”, relate-t-elle. “Je n’aurais pas eu le même parcours si j’avais eu une si faible résistance à la frustration momentanée.”
Bien sûr son parcours chez Fayard n’a pas été rempli que de joies et de fleurs qui sentent bon la réussite. A plusieurs reprises, elle a été tentée par la sortie à la faveur de plusieurs propositions. “J’en ai parlé à ma hiérarchie, on a parlé valeurs de l’entreprise et catalogue, je n’ai pas vu une opportunité plus intéressante ailleurs”, se rappelle la patronne aujourd’hui âgée de 41 ans. “J’ai toujours parlé à ma hiérarchie des propositions qu’on a pu me faire par souci de loyauté, mais mon attachement à l’équipe, aux auteurs, au catalogue, à mes patrons, la liberté qui m’était offerte m’ont toujours confortée dans ma sédentarité. Recevoir ces propositions, c’est flatteur, mais c’est aussi le rappel que rester dans la même entreprise ne fait pas de vous un prisonnier, loin de là.” Elle espère d’ailleurs que ses salariés reçoivent eux-aussi des propositions externes, “c’est le propre des talents”.
Agilité ne veut pas dire mobilité
L’immobilité, l’angoisse de tout cadre dynamique. Alors si ce n’est pas l’entreprise qui change, il faut agir sur les postes. Depuis qu’il est entré chez Axa, tous les deux, voire trois ans, le Linkedin de Guillaume Borie est mis à jour, avec à chaque fois de nouvelles responsabilités. Le profil de Jean-Marc Ollagnier n’affiche sûrement pas toutes ses prises de poste tellement il a évolué. Il faut dire que l’entreprise s’est transformée au fil de sa carrière. De quelques milliers de salariés dans les années 80, Accenture en compte 505.000 répartis dans les 120 pays où le cabinet est présent. A ce rythme de croissance, Jean-Marc Ollagnier a surfé sur les opportunités.
“J’ai l’impression d’avoir fait plusieurs entreprises en une”, témoigne-t-il. Le nouveau DG de l’entité européenne se rappelle que depuis ses premiers jours, son entreprise a successivement abandonné les activités d’audit, elle s’est spécialisée sur le conseil en technologie et a mis le paquet sur le développement international. Il a même travaillé sur l’entrée en bourse d’Accenture en 2001. “J’ai accompagné le développement de l’entreprise”, témoigne Jean-Marc Ollagnier qui lui aussi confie avoir à plusieurs fois regardé par la fenêtre. En cause : un salaire qui lui convenait plus ou une promotion qui lui a échappé. Finalement, il dit ne pas avoir été séduit par une orientation stratégique d’entreprise plus convaincante.
Le poids des études et du réseaux
Face à l’impétuosité des jeunes diplômés, les conseils de ces marathoniens invitent à la patience. “Changer tous les ans est perçu comme de l’instabilité, un manque d’engagement. Je pense qu’il faut conserver un poste environ trois ans afin de pouvoir faire montre de ses réalisations”, martèle le DG d’Accenture Europe.
Autre conseil qui lui n’est pas prodigué par nos interlocuteurs tellement il est communément admis : passer par une grande école est un catalyseur de carrière. Dans cette échantillon non représentatif de la population de PDG ayant commencé stagiaire dans la même entreprise, tous sont arrivés sur le marché du travail avec les plus beaux diplômes du pays : Sciences Po Paris pour Guillaume Borie, l’ENS pour Sophie de Closets et Telecom Paris pour Jean-Marc Ollagnier.
Le label grande école fait mouche, c’est un gage de fiabilité, de capacité de travail ou de puissants réseaux. On dit “réseau”, certains diraient “piston”. Le reproche a souvent été adressé à la PDG de Fayard dont le père est un célèbre écrivain. “Bien sûr que ça m’a aidée”, reconnaît l’intéressée avant d’ajouter : “Mais pas comme les gens se l’imaginent”. “J’ai grandi en aimant passionnément un auteur, mon père. J’ai mesuré à quel point son travail était difficile, chronophage et combien publier un livre était une aventure exaltante mais aussi éprouvante… Cette conviction, j’ai grandi avec, je n’ai pas eu à l’apprendre. Pour un éditeur, c’est un avantage indéniable”.
Source: les échos
Articles Connexes
Outre le marché bancaire où elle est déjà bien...14th Oct 2022
Tirée par le Nigeria, 1er producteur africain ...01st Août 2023
Abidjan accueille l'arrivée d'un important fonds d...20th Juin 2022
La stratégie de l’atteinte des objec...31st Oct 2023