ÉCONOMIE – « Toute innovation a avantages et inconvénients »

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Paléoanthropologue de renom, Pascal Picq est l’auteur de plusieurs ouvrages cherchant tous à expliquer ce qu’est l’être humain. Il répond à Tours (Indre-et-Loire) à nos questions sur sa vision de l’innovation.

Comment définissez-vous l’innovation ?

Il s’agit de l’émergence d’une nouvelle idée, d’une nouvelle technique, qui, une fois adoptée par le marché et la société, se transforme et se modifie. Il y a traditionnellement deux types de définition et de compréhension de l’innovation : lamarckienne et darwinienne.

La première est une innovation imposée par l’environnement. Le marché et la société changent et nous imposent de trouver une réponse pour s’adapter. La seconde est très différente et très mal comprise, et pourtant c’est celle qui nous bouscule le plus. Les entrepreneurs ou inventeurs proposent des nouvelles choses sans qu’il y ait un besoin. Ces inventions ne sont pas encore des innovations. Elles le deviendront si elles sont captées par le marché. C’est le cas de Facebook par exemple ou de l’iPhone.

À quoi sert-elle ?

Dans le monde lamarckien, elle est utile car elle est stimulée par une réponse qu’on attend. Alors que, dans le monde darwinien, on ne sait pas ce que ça va donner. C’est pour cela que nous sommes mal à l’aise car des inventions apparaissent sans qu’elles correspondent à une nécessité, on appelle cela la contingence. Ça apparaît sans besoin sur le moment mais, si ça marche, alors ça peut changer l’environnement.

Par exemple, les singes voient en couleurs suite à une recombinaison génétique sur le chromosome X. Cela signifie que ce sont les femelles qui ont d’abord vu en couleurs. C’est ce qui va changer la vie sociale des singes, car les femelles peuvent désormais choisir les mâles qu’elles préfèrent. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui nous avons des vies sociales et affectives extraordinairement complexes.

Cela va même plus loin, car cette recombinaison est la raison pour laquelle les fruits sont colorés. Parce que les singes ne sélectionnaient que ceux qui avaient la plus belle couleur et en les consommant, ils ont favorisé le déploiement des variétés d’arbres, cela a changé l’écosystème des forêts.

Bio express

– Naissance le 22.01.1954 à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine).

– 2005 : parution de Nouvelle histoire de l’Homme.

– 2006 : lauréat du grand prix Moron décerné par l’Académie française.

– 2013 : parution de De Darwin à Lévi-Strauss : l’homme et la diversité en danger.

– 2020 : parution de Et l’évolution créa la femme.

– 2022 : parution de Comment la modernité ostracisa les femmes.

Comment créer les conditions de l’innovation ?

Pour les entreprises et les administrations, la question est : comment sont-elles capables d’avoir une culture de l’innovation. Cela donne des types de management très différents.

Il a été observé chez les macaques un système de management descendant : avec les dirigeants décident et les exécutants qui exécutent. C’est un système qui n’aime pas les erreurs et qui est conservateur. Alors que chez les chimpanzés, il y a un management décisionnaire sur les orientations de l’entreprise, mais les non-décisionnaires peuvent apporter leurs idées : cela permet d’apporter des idées auxquelles on n’avait pas pensé et d’en faire une innovation. C’est donc plutôt le système chimpanzé qui permet l’innovation.

Est-ce que l’innovation peut faire changer les choses aujourd’hui ?

Toute innovation a des avantages, mais aussi des inconvénients. C’est le paradoxe. Avec le numérique, on s’est retrouvé avec des applications qui ont bousculé l’économie, et l’ubérisation est apparue. En tous les cas, c’est quand ça va bien qu’il faut changer, car quand ça va mal, c’est trop tard.

Attendre que ça aille mal pour innover est une mauvaise stratégie selon moi, alors qu’anticiper et déployer des solutions avant qu’elles ne deviennent nécessaires est vital. Par exemple, les entreprises qui avaient déjà réfléchi au télétravail avant le confinement ont été bien mieux armées face à cette crise inédite. Celles qui ont dû s’adapter pendant cette expérience brutale ont été en réelles difficultés.

Source : lanouvellerepublique

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